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  • Dans le train de Marseille vers l’est, je reprends le clavier. Un post commencé et abandonné plusieurs fois me sert de support pour reprendre la parole par écrit. L’exercice s’ajoute à « La Revue de la semaine » à laquelle je reste bien fidèle comme au premier de mes médias personnels. En effet, plus que jamais on ne peut pas compter sur la médiasphère officielle pour faire autre chose que du bruit de couloir, du dénigrement et de la confusion. Aucun débat sur les sujets en cause, une fois de plus, toujours les mêmes campagnes répugnantes contre nous avec quelques records battus par les habitués du genre. Mais surtout c’est la confusion par les ignorants et fainéants qui continuent à nous nommer « Front de gauche » alors que cette organisation a disparu depuis deux ans.  Et maintenant, nous découvrons même des «  France insoumise-PCF » pour pronostiquer le nombre des sièges que nous emporterions alors même que le PCF a déjà décidé de siéger dans son propre groupe et d’opposer ses candidats aux nôtres sur le terrain. Une fois de plus, la démocratie est lourdement mise en danger par la médiasphère officielle devenue au mieux crassement ignorante, au pire une pure machine à créer du sensationnel macroniste à n’importe quel prix. Contourner ces médias et nous exprimer directement est un enjeu essentiel, comme pendant la présidentielle.

    Je mouille la chemise : en une semaine j’ai couru trois circonscriptions de Lille, quatre à Paris, une en Seine-Saint-Denis à Montreuil où a eu lieu le plus important meeting de toute cette campagne. Et bien sûr, j’ai animé trois interventions dans Marseille. Cela fait onze prises de parole, cinq heures et demi de discours et quelques grosses centaines de kilomètres de trajet en train et automobile.

    Presque partout un constat : nous sommes presque seuls à faire campagne. Et ça se voit. Les horoscopes sont meilleurs qu’il y paraît en dépit d’un certain acharnement médiatique soit à nous invisibiliser comme à Montreuil, soit à me diaboliser. On nous place à 15%, et Macron à 30%. Une finesse que les mathématiques ne peuvent connaître dans la mesure où les candidatures des amis de Macron sont présents dans moins de circonscriptions que les nôtres. Un doute que conforte le sondage réalisé pour L’Obs qui titre : « Près d’un Français sur deux souhaite une majorité absolue pour Macron » alors qu’il s’agit de 43% des sondés, c’est-à-dire « moins d’un français sur deux » pour parler clair. Une élection ouverte que gagneront les plus déterminés à voter !

    Depuis que j’ai été éloigné de ce clavier, il y a eu les diverses cérémonies du sacre du nouveau monarque présidentiel et les tonnes de commentaires serviles et béats qui les ont accompagnés. Il y a eu la formation du gouvernement. Et de nouvelles tonnes de béatitudes de commande. Il y a eu aussi la reprise de ces exercices de dénigrement de ma personne qui déshonore souvent davantage ses auteurs que moi. En plus de quoi, avec ma candidature à Marseille, tous les plumitifs haineux peuvent reprendre contre moi les arpèges du slogan contre mon « parachutage », version soft et mondaine du slogan lepeniste « on est chez nous ! ». Bof !

    Mais pour moi, l’évènement de cette semaine là, ce fut ce déplacement en Creuse, à La Souterraine aux côtés des salariés de GM&S en lutte pour sauver leur emploi. Je m’y suis ressourcé. Aucun doute, aucune hésitation, aucune lassitude ni fatigue ne résiste au contact avec ce qui est le sens profond de mon engagement philosophique et politique. Ma famille pour toujours, ce sont ces braves gens hautement qualifiés menant leur vie en la gagnant et en donnant ensuite tant et tant autour d’eux. Les miens en lutte pour leur survie ne font pas que m’appeler à la rescousse ! Il me disent qui je suis en tant que personne impliquée dans la vie de mes semblables. Je le dis mal, mais je crois cependant utile de le dire. Nous sommes si nombreux dans ce cas ! La détresse des miens en lutte, exprimée avec tant de pudeur, les yeux rougis par le manque de sommeil, les traits tirés par l’angoisse, le souffle court à l’heure où ils portent sur leur dos les lendemains de toutes leurs familles, tout me fait devoir. Sur place, je me suis d’abord inquiété de ça ! Leur santé, leur fatigue. L’un me dit : « ça fait dix ans que ça dure », car c’est la troisième « liquidation judiciaire » en cours. Dix ans de crise et de lutte contre les menaces de fermeture. Que c’est long. Que c’est usant.

    Pour finir, le ministre a fait ce que j’avais demandé quasi en plaisantant : prendre son téléphone et appeler PSA et Renault chez qui l’État est actionnaire pour garantir un niveau de commandes. En fait j’avais repris à la volée un argument de la conversation avec Jean-Marc, le délégué syndical CGT, à qui j’avais demandé : « c’est compliqué d’obtenir la relance de l’activité ? » Et lui : « compliqué comme un coup de téléphone, etc. ». Le 23 mai, le tribunal de commerce a donné un nouveau délai jusqu’au 30 juin pour une solution. Dix ans et encore un mois et demi de lutte pour son gagne pain. À bas ce système !

    Après cette présidentielle qui nous est passée au bout de doigts à 600 000 voix près, je dois passer à la suite séance tenante, en reportant à cet été le temps des bilans intimes sans lesquels personne ne peut vivre une vie maitrisée. Sans pause, après la terrible charge psychologique et physique de la campagne présidentielle, après la frustration du résultat, il faut lancer aussitôt l’offensive suivante : celle des élections législatives. Il le faut, parce qu’une fois de plus, une possibilité formidable existe de renverser le cours des évènements.

    L’élection législative qui s’annonce ne ressemble guère à celles que nous avons connues dans le passé. Qui aura la majorité des sièges, où sera le centre de gravité de la prochaine Assemblée, quel programme s’appliquera ? Ce n’est pas joué. Les sondages restent incertains. Seuls les commentateurs ont des certitudes. Ainsi quand L’Obs titre : « Près d’un Français sur deux souhaite une majorité pour Macron », comme je l’écrivais plus haut. L’article qui suit est plus réservé. En effet, je l’ai dit, il apparait que cette presque moitié est juste faite de 43% des sondés… C’est un fait bien nouveau qu’il n’y ait pas de majorité pour vouloir donner une majorité au président nouvellement élu. Et le même papier montre que 19 % des sondés demandent un gouvernement de cohabitation dirigé par « La France Insoumise ». Cela prouverait que la ligne d’action du mouvement a été entendue par ceux qui ont voté pour nous à l’élection présidentielle. C’est déjà pas mal. Mais comme il n’y aurait que 15% pour vouloir la même chose avec le FN ou LR j’en déduis que pour ces analystes, les deux seules forces en dynamique sont « En Marche » et « La France Insoumise ». Alors, ce n’est pas rien, les sondés nous identifient comme les premiers opposants au gouvernement Macron.

    Fatigue et déconvenue sont donc passées au second plan car elles seraient bien mauvaises conseillères. Nous nous sommes donc redéployés. Je dis « nous » en pensant aux centaines de personnes qui ont encadrés la glorieuse campagne présidentielle. Les uns sont restés en équipe centrale pour alimenter tout le reste du dispositif national, les autres sont sur le terrain des circonscriptions. Des centaines de personnes, filles et garçons, sont en train d’y gagner leurs galons à la dure. Et dans la quasi-totalité des cas (94% !), c’est la première bataille politique publique de leur vie. Moyenne d’âge : 41 ans ; 64% sans étiquette de parti. Où que j’aille les voir sur le terrain, ils m’impressionnent. Leur âge, souvent bouleversant pour quelqu’un de ma génération, ces petites trentaines de tous côtés, me font voir que la relève est assurée pour de nombreuses années. Je sais que j’ai rempli ma mission.

    Droits comme des I, perfectionnistes au travail militant, disciplinés dans l’action, formés à haut niveau, parlant tous droit et clair, je les vois à des années lumières des intrigants entortillés qui continuent à tomber des branches mortes des vieux partis. La levée en masse produite par la plateforme « La France Insoumise » a également produit ses fleurons d’énergies, d’initiatives et de volontaires pour marcher devant. Car dans notre cas, il y a surtout beaucoup de coups à prendre. Et tous ont un boulot ou en cherchent un. S’exposer n’est simple que pour les importants ou les parvenus des partis de la caste ! C’est d’ailleurs notre fierté d’avoir non seulement 99,99% de candidats qui ont une vie et un métier du commun mais aussi parmi eux des précaires et des chômeurs en première ligne de notre combat.

    Il y a de l’angoisse dans nos rangs. Beaucoup mesurent le caractère dramatique de l’enjeu. Si Macron reçoit une majorité absolue, il foncera. Il aura les pleins pouvoirs. Et ça va faire très mal. Code du travail, école, et ainsi de suite, tout va y passer. Le ton du Medef osant un « on a assez discuté » et du porte-parole de l’Elysée Castaner (PS) à l’adresse des syndicats, «on n’a pas le droit de bloquer» sur cette réforme du Code du travail, font froid dans le dos.

    L’alerte sur ce sujet a été bien comprise dans les prises de paroles de rue que j’ai faites à Lille et à Paris. Certes, il y avait la surprise de voir tant de monde dans la rue à des heures qui n’étaient pas le plus commodes pour le tout venant. Mais c’est une fois de plus la qualité de l’écoute, la réactivité des présents qui m’ont marqués. On voit clairement que l’élan de la présidentielle n’est pas retombé. Au demeurant, les volontaires affluent pour participer à la campagne en appui à nos candidatures.

    Le point d’orgue de cette semaine du 23 mai, ce fut évidemment le rassemblement sur la place de la mairie à Montreuil. Les organisateurs ont annoncé 1500 personnes mais je peux dire que j’en ai vu davantage depuis l’estrade d’où je parlais… L’appui à mon porte-parole de campagne, Alexis Corbière, est massif. Lui-même a eu beaucoup de talent pour prendre pied : la signification politique nationale de sa candidature a été bien comprise en dépit de la campagne indigne contre son « parachutage ». Un peu partout d’ailleurs, la greffe prend de même. Cela atteste de la maturité politique de nos soutiens. Le vieux discours localo-localiste des candidats « bien de chez nous » qui « connaissent les dossiers locaux » ne prend plus. Les gens savent que l’enjeu est national, qu’il concerne la politique du pays dans son sens le plus large.

    Cela était déjà vrai dans un passé récent. Je me souviens avoir gagné mille voix en trois semaines à Hénin-Beaumont alors même que jouaient les cornemuses du PS contre mon « parachutage » et que pleuvaient les louanges pour « l’élu PS de terrain qui connait ses dossiers ». Il gagna au deuxième tour . Mais le FN a pris ensuite tous les postes à élire. Et Madame Le Pen, de nouveau présente sur place pour la législative, ne perd pas une seconde à essayer d’imiter le maire FN de la localité. Les candidats maires-adjoints exaspèrent s’ils veulent jouer leur élection sur leur « connaissance des dossiers locaux et la proximité avec les gens ». Les gens savent que c’est bidon. Ils savent que l’élection législative n’est pas la municipale, que ce dont on a besoin c’est de voix qui portent, qui fassent honneur, qui portent la parole des autres. Cet élément de psychologie collective-là fait partie de la fin du vieux monde. Il en est ainsi parce que chacun sent de façon plus ou moins claire que de grandes émotions murissent au coeur du pays.

    En tenant sa Convention nationale pour les élections législatives ce dimanche 13 mai, le mouvement « La France insoumise » (LFI) a franchi à sa façon un nouveau pas dans sa construction. Mais surtout, en franchissant ce seuil, cette réunion aura été une étape dans la réorganisation du paysage politique de notre pays. Car nous prouvons que nous sommes capables d’assumer notre responsabilité de première force politique dans de si nombreuses grandes villes. En effet, « La France insoumise » n’existe que depuis février 2016, mais elle est déjà capable de présenter 560 candidatures aux élections législatives. Je suis militant depuis assez longtemps pour savoir quel exploit ce maillage du terrain représente !

    Ainsi, où que l’on soit sur le territoire de la République française, en métropole et en Outre-mer (à l’exception de Wallis et Futuna, hélas), il sera possible aux prochaines élections de voter pour quelqu’un qui représente nos idées. Dès lors, la mouvance qui s’est rassemblée autour de ma candidature pour les élections présidentielles a les moyens de se regrouper de nouveaux. Sept millions de personnes sont concernées. Si cela se fait, nos candidats seront présents au deuxième tour dans 78% des circonscriptions. Naturellement, il y a un certain nombre de candidatures extérieures à nos rangs que nous soutenons mais qui ne se déclarent pas sous le label « France insoumise » sur les formulaires de candidature à déposer en préfecture. Elles soustrairont leurs résultats du total qui sera comptabilisé. C’est dommage. Je n’en suis que plus reconnaissant aux personnalités qui ont accepté de se déclarer « France Insoumise » sur les formulaires, quand bien même elles ne signent pas la Charte et même choisissent une autre association de financement où sera reversée l’allocation publique. La perte sera donc moins grande.

    C’est pourquoi je trouve si important, si décisive la façon avec laquelle a été préparé la campagne des élections législatives. Sur le plan purement politique ce fut simple. L’équipe qui animait la campagne présidentielle a produit l’équipe qui anime cette campagne législative. Les personnages sont les mêmes, ils officient aux mêmes fonctions qu’ils ont si brillamment rempli dans la période précédente. À mes yeux, il fallait à tout prix que le plus grand nombre d’entre eux soit personnellement candidat. Car c’est de cette façon que la formation politique personnelle s’affine par l’apprentissage du contact de terrain. La jeunesse de la plupart des animateurs de notre campagne fortifie cette exigence.

    La désignation des candidats s’est fait sur la base du vivier de candidatures proposées après un appel général à tous les insoumis. Des assemblées locales ont transmis des listes, parfois assorties d’avis de préférence, parfois non, pour éviter les tensions ou tout simplement parce que les gens estimaient qu’ils ne se connaissaient pas assez. Comme il s’agit d’une bataille nationale c’est évidemment au niveau national que s’est opérée la sélection et la décision. Sans cela, aucun critère n’aurait pu être respecté. La parité femme/homme, la diversité sociale, tout aurait été remis au hasard des regroupements locaux et de leurs éventuelles batailles d’influence interne.

    Ce comité électoral comportait une plénière et un executif en quelque sorte qui assurait la permanence quotidienne du travail à accomplir. La coordination était assurée par quelqu’un qui n’était pas elle-même candidate : Martine Billard. L’ancienne députée de Paris est assez expérimentée politiquement pour savoir tenir un cap aussi complexe que celui qui était projeté. Ce comité électoral national a été composé de représentants de « l’espace politique » (représentation des partis et groupes politiques qui appuient le mouvement), de « l’espace des luttes » (représentation des acteurs des luttes sociales et environnementales) qui participent à la vie du mouvement « La France insoumise ». Mais il y avait surtout une moitié de membres tirés au sort parmi des insoumis. Chacun des membres de ce comité électoral a personnellement participé aux tâches, pris en charge les dossiers, des circonscriptions, des départements. Des milliers d’heures de travail, des dizaines de réunions, souvent le dimanche, pour permettre à tout le monde de participer. Car l’une des caractéristiques de ce comité, comme de nos listes de candidatures, est que la quasi-totalité de ses membres ont une vie professionnelle qui les rend moins facilement disponibles. La mission est accomplie. Nous sommes en ordre de bataille. Nous sommes à la hauteur de notre responsabilité. Nous pouvons commencer écrire la page suivante en confiance et avec fierté.

    L’objectif essentiel à nos yeux est le suivant : quelle que soit l’issue de l’élection, le résultat affiché doit permettre une démonstration de force face au macronisme et au FN. Il nous faut construire un point d’appui central pour la suite des combats. Quels que soient leurs motifs, ceux qui ont refusé d’entendre que « La France insoumise » est un label commun et une plateforme d’action commune autour d’un programme, et non le lieu d’une dissolution de leur identité particulière, commettent une très lourde erreur. Ils se placent, sans raison, en dehors d’un processus populaire de vaste ampleur. Ce n’est pas faute d’avoir multiplié les mises en garde et les mains tendues. Mais c’est ainsi. C’est dommage car ce sera aussi un moins pour ce qui aurait dû être un score englobant tout le monde et donc profitant à tout le monde. L’obsession identitaire conduit tout droit à la marginalisation des identités politiques concernées. En réalité, elle est parfois bien étrange et débouche sur des aberrations . Oui, étrange de voir le PCF revendiquer une affirmation identitaire tout en se rebaptisant partout « Front de gauche ». Une pauvre tentative de récupération alors que cette organisation n’existe plus depuis deux ans, et qu’elle a aussi disparu de la nomenclature du Ministère de l’Intérieur ! Et toute cette campagne de dénigrement personnalisée contre moi, systématique depuis tant de mois, tout cet auto-isolement pour voir afficher le sigle PCF sur les tableaux du Ministère de l’Intérieur avec le résultat groupusculaire qu’annoncent les sondages: voilà qui me dépasse.

    Au fond les turpitudes de ces « négociations » en trompe l’œil auront accéléré l’apprentissage du comité électoral de « La France insoumise » composé pour moitié de gens tirés au sort et peu expérimentés. Elles leurs auront imposé la nécessité d’avancer sans tergiverser. Car on sait comment en pleines négociations les dirigeants du PCF prirent la responsabilité de déclencher leur campagne sans prévenir. Au fond je crois que ce mauvais coup nous a épargné de faire une lourde erreur. Un accord nous aurait affaibli dans l’opinion en nous obligeant à devoir assumer de drôles de promiscuités. Car évidemment pendant qu’on discutait, en cachette, le système des accords locaux entre compères s’est remis en place département par département. Il comporte cette fois-ci encore tout l’arc des grosses combines démoralisantes habituelles, jusqu’à des accords départementaux PCF-PS-EELV comme dans le Jura, la Marne, les Yvelines et un certain nombre de circonscriptions, par-ci, par-là, en fonction des vieux copinages. Sans oublier quelques coups de billard à bandes, joués sous la forme de retraits croisés de candidatures entre bons amis. Et quelques autres coups tordus, comme ces candidats « France insoumise » qui au dernier moment et à la surprise générale se déclarent PCF en préfecture. Et combien d’autres que je renonce à décrire, pour ne pas leur donner une importance qu’ils ne méritent pas en dépit de l’écoeurement qu’ils soulèvent dans nos rangs.

    Cette pauvre obsession partisane se retrouve aussi dans le ciblage opéré pour contrer sur le terrain les principales figures de la nouvelle génération d’animateurs de notre mouvement. Je déplore cet acharnement sectaire. Mais nous n’y avons pas cédé en dépit de harcèlements incessants. Ce qui est en cause, ce n’est pas le partage des places ni l’argent public, puisque nous étions prêts à abandonner l’un et l’autre. Ce qui compte c’est notre fidélité au programme pour lequel les gens ont voté à la présidentielle. On ne transige pas sur ce sujet. Mais de ce programme, aucun des « unitaires » ne voulaient en accepter le parrainage. Ni d’y rester fidèles une fois élu. Ni de respecter une discipline de groupe sur ce point. Comment, alors, nous imaginer revenir vers nos électeurs pour leur dire : « vous avez voté pour la sortie du nucléaire, on vous demande de voter pour quelqu’un qui est contre. Vous avez voté pour le référendum révocatoire des élus, votez à présent pour quelqu’un qui n’en veut pas » ? Et ainsi de suite.

    Cette question n’effleure même pas l’esprit de nos ardents « unitaires ». Ils se représentent l’électorat « France insoumise » comme une masse captive en attente des consignes de ses chefs, à l’ancienne. Ils n’ont rien compris. Et de même, ils font comme si « la gauche » était une étiquette pertinente, sans autre preuve à en donner que de s’en réclamer. Le PS a bien compris que c’était là sa bouée de sauvetage. Sur tous les murs de France on voit donc ses candidats se proclamer « votre député de gauche ». Quand on connaît le nombre d’entre eux qui s’apprête à rejoindre « la majorité présidentielle » de Macron, on voit bien quelle confusion charrient de telles étiquettes ! Cette façon de faire, sous prétexte de « rassemblement de la gauche » est donc vite réduite à ces fameuses alliances « tuyaux de poêle » où d’un candidat à l’autre, dans un même département, les alliances et les soutiens changent et peuvent conduire à inclure dans un même ensemble les combinaisons les plus improbables et parfois les plus répulsives. Un tel méli-mélo est évidemment illisible sur le plan national et sans perspectives communes après les élections. On l’a vu dans les élections régionales et départementales, sans parler des municipales. Recommence qui veut. Sans nous.

    Au PS aussi, la comédie est à son comble. Sous prétexte « d’union » et de « rassemblement de la gauche », nous sommes pris à partie pour « l’union » par les mêmes qui nous traitaient il y a peu de dictateurs et autres délicatesses. C’est une fois de plus, dans un emballage à peine modifié, le numéro de l’union « de Macron à Mélenchon » dont nous avons été abreuvés l’an passé. Car les « unitaires » se gardent bien de quitter le PS ou de couper le cordon avec les candidats prêts à changer de camp le moment venu, c’est-à-dire après l’élection. Sur le terrain, le chaos est à son comble, tout ce petit monde se proclamant « la gauche ». La palme d’or de la confusion revenant aux « Hamonistes », tous déclarés PS, qui, dorénavant, par-ci, par-là, soutiennent des candidats PCF ou EELV contre des candidats PS. Et bien sûr, toujours avec l’espoir de mettre en échec « La France insoumise », comme à la présidentielle. Quant à EELV, comme on le sait depuis Yannick Jadot, ses candidats sont disponibles pour toutes les combines, y compris les retraits inopinés. Au total, nous nous tenons à distance de toutes ces agitations groupusculaires qui démoralisent tous ceux qui ont à en connaitre. Notre ligne d’horizon est ailleurs.

    Pour autant, la divergence est en effet profonde sur le plan de la stratégie. Notre raisonnement ne se déroule pas dans le cadre de pensée du « sauve qui peut, la boutique d’abord ! ». Au contraire ! Nous voulons une campagne lisible, homogène nationalement et construite sur un projet conquérant. Selon la part que nous retrouverons des 7 millions de voix qui se sont regroupées pour la présidentielle, « La France insoumise », le destin peut basculer. Si ces électeurs reviennent, nous serons présents presque partout au second tour. Nous pouvons alors former le cœur d’une nouvelle majorité et un gouvernement. Une fois de plus, la même coalition d’intérêts de boutiques, comme d’un bout à l’autre de la campagne présidentielle, sous prétexte « d’unité », s’arcboute pour nous faire échouer.

    En toute hypothèse, notre but est que le résultat en pourcentage fasse de notre mouvement un point d’appui fort pour l’action dans le nouveau paysage français. Tout de même ! Est-ce si dfficile a comprendre qu’il faut inspirer confiance en étant forts ? Est-ce si difficile a comprendre qu’on est plus mobilisateur pour les plus faibles et désemparés quand on est forts ? Et cela facilitera aussi le travail de tous ceux qui voudront s’y adjoindre ensuite pour préparer l’avenir du projet humaniste écologique et social qui est notre idéal commun.

    Car ce qui est en cause, ce n’est pas l’avenir de tel ou tel parti mais l’existence d’une alternative crédible face au rouleau compresseur du marteau pilon libéral. Et cela passe par une représentation politique forte, lisible et stable. La question de la représentation politique est en effet posée de face acérée dans notre pays. C’est une question essentielle pour une démocratie, je n’apprends rien à personne sur ce point. Il y a sous nos yeux l’écroulement des deux partis traditionnels que sont « Les Républicains » d’un côté et le PS de l’autre. Et sous nos yeux de même ont émergé de façon concomitante de nouvelles forces politiques de masse comme « en Marche » ou « La France insoumise ».

    Cela instaure de ce fait même de nouveaux objectifs et d’autres règles du jeu. « La France insoumise » s’est immédiatement adaptée à ce nouveau contexte d’explosion du champ politique auquel elle a si activement contribué. Une fois atteint presque 20 % des suffrages exprimés au premier tour de l’élection présidentielle, il était essentiel d’organiser la suite du combat dans la continuité de ce qui venait d’être réalisé. En pleine responsabilité. Une nouvelle fois, donc, il ne pouvait être question d’avoir pour objectif de « rassembler la gauche » selon l’expression consacrée pour désigner un système de géométrie variable des alliances suivant les circonscriptions, les départements et les régions. Mais au contraire il s’agit de créer une centralité politique car c’est une condition incontournable pour « fédérer le peuple ».

    Le moyen de cette opération, nous en disposons. Il s’agit d’abord et avant tout de la valoristion du programme « L’Avenir en commun ». Chacun sait que nous avons concentré tous nos efforts dans la campagne à faire de ce document le référent commun. C’est au point qu’on peut résumer en une formule ce que nous sommes : le mouvement « la France insoumise » c’est le programme « L’Avenir en commun ». Les études montrent que 80 % de ceux qui ont voté pour nous l’ont fait par adhésion. C’est le taux le plus fort de toutes les candidatures. Ce programme reste donc le centre de tout pour nous puisque c’est lui qui fédère nos électeurs et nous donnet les moyens de parler aux autres. La fidélité à nos engagements, le respect de nos électeurs, l’engagement de nos candidatures aux législatives et de nos députés demain, c’est le programme « L’Avenir en commun ».

    Nous établissons donc un lien total entre la campagne présidentielle et cette nouvelle campagne législative : de nouveau nous nous battons pour ce programme, de nouveaux nous nous battons pour gagner. C’est pourquoi la symbolique de la campagne présidentielle est elle aussi centrale dans la campagne actuelle des législatives. Il s’agit ici de l’usage du « phi » comme symbole commun jusque sur le bulletin de vote, et de la référence à ma personne comme autre symbole visuel de cette campagne surlignant la continuité avec l’élection présidentielle.

    Dans ces conditions, quel que soit le résultat, la campagne législative sera de nouveau un moment d’éducation populaire et d’instruction mutuelle. Elle devrait permettre d’approfondir l’ancrage de l’adhésion au programme «L’Avenir en commun » comme une référence sans cesse plus collective dans notre peuple. Maints protagonistes de la campagne ont cru que cette référence au programme était un fait de communication. En effet, depuis la fin du programme commun de la gauche, il est devenu banal de considérer les programmes comme des chiffons de papier à durée de vie limitée. À droite il en va de même depuis l’indépassable formule de Charles Pasqua selon laquelle « les promesses n’engagent que ceux qui les croient ». Et, cette fois-ci encore : le PS et LR ont changé de programme entre les présidentielles et les législatives. Notre façon de faire prend le contre-pied total de cette attitude cynique.

    Voyez comment en commençant tôt dans cette campagne présidentielle et en construisant toute l’action autour de la préparation du programme puis de sa diffusion nous avons préparé le développement de notre influence, et notre résistance notamment dans les moments difficiles de la campagne, ceux ou la confusion était la plus grande. De même en travaillant de cette façon a construire une conscience politique de masse et de haut niveau nous préparons la suite. Dans les évènements chaotiques qui vont venir, l’existence d’une force de masse, cohérente politiquement sera un atout considérable pour l’action populaire qui cherchera son chemin.

      Jean-Luc Mélenchon


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  • Le moment politique

    Il faut dire un mot du coup d’œil que je jette sur le moment politique. Pour moi, le nouveau paysage, c’est celui de la première étape de la période « qu’ils s’en aillent tous » que vit notre pays. Un « dégagisme » de masse est amorcé. Les deux partis centraux du système se sont écroulés. Une réorganisation générale s’opère. Au fond, le sens de cette organisation est assez simple : les deux partis n’ont pas accompli la mission qui était attendue d’eux par leurs bases sociales respectives. Ils ont donc eux-mêmes congédiés leur base électorale.

    Un tel phénomène implique évidemment l’entrée dans une période de grand brouillage des repères, de brouillage dans l’attribution des mots de référence, et ainsi de suite. Nous sommes en plein au cœur de cette période où tout se réorganise dans le désordre. À mes yeux, la compétition s’opère entre trois pôles politiques : celui qu’incarne le président Macron et qui va du « centre-gauche » à la droite, celui de Madame Le Pen confinée à l’extrême droite, le nôtre qui va de la gauche traditionnelle aux confins de l’humanisme écologique. Si l’on veut que le débat ait lieu, si l’on veut que les votes tranchent de véritables options, notre intérêt bien compris est de faire vivre sans nostalgie ce paysage.

    Il va de soi que, dans la compétition qui nous opposera aux autres, notre devoir est d’être cohérent et uni, fortement liés les uns aux autres par l’adhésion au programme « L’Avenir en commun » et clairement délimités par rapport à la traditionnelle « soupe aux sigles», c’est-à-dire au système des alliances à géométrie variable qui rend toute action politique illisible et tout programme incrédible. Je parle de cette cohérence et de cette délimitation comme d’un devoir politique d’efficacité pour le combat.

    Car, dans le même temps, je compte bien que nos deux adversaires, le Macronisme et l’extrême droite, entrent au contraire, eux, dans un processus de balkanisation dont on voit dès à présent les prémices se réunir. La nébuleuse Macroniste se constitue comme un agrégat de toutes sortes de vieilles forces et de personnages plutôt habitués aux parcours individuels, pompeusement rebaptisés « société civile ». Il n’est pas du tout sûr que la compétition des ambitions individuelles et la force en retour du choc social que va déclencher la mise en œuvre de la politique du président permette à cet agrégat de résister aux chocs inévitables.

    Il s’agit là d’un effet de système. Le discerner n’implique aucun jugement de valeur sur les personnes ni sur les groupes. Un effet de système a ceci de particulier qu’il s’impose à la volonté particulière des individus qui pourtant le déclenchent. Le Macronisme politique pourrait bien vite donner à voir sa trame initiale : une sorte de mer des Sargasse politique, une Cour des miracles pomponnée et parfumée. N’est pas César qui veut, en effet. Le Césarisme s’impose aux factions qui l’ont rendu possible en les subjuguant ou en les détruisant. Macron a trop composé, trop recyclé, trop fait d’accords. Chaque traître à son parti initial, qui aura été réinvesti pour être député, aura par cela même pris le goût des trahisons impunies. Une très mauvaise éducation initiale.

    En toute hypothèse, le projet macroniste n’est applicable qu’en détruisant toutes les structures corporatives politiques de l’ancien système. S’il ne le fait pas au moment où il va constituer son groupe parlementaire, le moment politique sera passé pour lui, et la suite de son parcours devrait vite devenir plus chaotique que ses premiers pas dans la cour du Louvre ! Et même d’autant plus vite que la résistance sociale se déclenchera. Car le mandat impératif de Macron c’est l’affrontement social pour achever la mise en place de la feuille de route de la Commission européenne. Ce n’est pas rien que d’executer ce plan.

    En ce qui concerne l’extrême droite, un signe semble attester du fait qu’elle a peut être atteint son sommet. Et le premier de ces signes est qu’au premier tour de l’élection présidentielle nous lui avons repris le terrain dans toute une série de milieux hautement symbolique ! Le dire, ce n’est pas sous-estimer le nombre considérable de suffrages qui se sont portés sur la candidature de Madame Le Pen au deuxième tour. Considérable en effet si l’on tient compte de la nullité de la candidate dans le débat final et des zigzags d’orientation politique sur le programme tout au long de sa campagne. Le dire c’est comprendre que le Front National est arrivé au point où il devient particulièrement difficile pour lui d’opérer une synthèse réelle entre les éléments sociaux qui le composent.

    La base populaire antilibérale, les milieux proches de la droite traditionnelle, les mouvances identitaires, les courants nationalistes contradictoires, unis d’ordinaire par quelques formules approximatives qui peuvent leur tenir lieu de raison de voter ensemble pour protester en commun, lorsqu’ils parviennent aux portes du pouvoir, ne supportent plus d’être contredits les uns par les autres, parce que l’essentiel est alors en jeu. L’embrouille sur l’euro à quitter ou non, ou à transformer en monnaie commune avec une double circulation monétaire dans le pays, tout ce galimatias stupéfiant n’a éclaté au grand jour que parce qu’il s’agissait de passer aux actes.

    Madame Le Pen et Monsieur Philipot ont cru tout pouvoir régler et élargir leur base électorale en collant à nos thèmes, à nos mots, jusqu’à la caricature. C’est un échec complet. Le contraire de ce qu’ils avaient prévu s’est produit. Nous leur avons repris le terrain parce que la cohérence de « la planification écologique » est de notre côté même quand Madame Le Pen nous emprunte le mot. On peut même dire qu’en augmentant la diffusion de ce mot, elle augmente la diffusion de la grammaire qui le rend compréhensible. Et ce n’est pas la sienne. Le père Le Pen disait : « on préfère toujours l’original à la copie », il n’avait pas tort sur ce point. Dans ces conditions, Florian Philipot a été notre allié objectif le plus efficace. Car en faisant le choix de nous « coller » sur des thèmes et des mots, le FN a abandonné la tâche, qui était pourtant sa chance, de réorganiser la droite en pleine décomposition sous les coups de l’affaire Fillon et de l’offensive Macron. Marine Le Pen a sans doute manqué une occasion que l’Histoire ne lui représentera pas de sitôt. Car si cette réorganisation de la droite se fait en dehors du Front National, si Macron parvient à forger un nouvel axe à droite dans le même temps où « la France insoumise » étendra son audience populaire, alors le retour à la case départ groupusculaire de l’extrême droite pourra commencer.

    Jean-Luc Mélenchon


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