• Je ne veux pas cautionner ce complot contre la démocratie

    Faut-il participer au vote de la primaire organisée à l’automne par le parti socialiste ?

    Je voterais Jean Jaurès… si j’en avais la possibilité. Les bons manieurs de la langue française savent que le conditionnel s’accompagne d’un « s » final à la première personne du singulier des verbes du premier groupe… et que cedit conditionnel implique un choix, une éventualité.

    Donc, je voterais Jaurès… si je me déplaçais, comme m’y invite, avec une insistance quelque peu racoleuse, la direction du PS, afin de choisir entre l’un des siens, moi qui ne suis pas l’un des leurs. Mais, non, décidément, définitivement, non, je n’irai pas dans un local du PS. Comme beaucoup, beaucoup, la ficelle me paraît un peu grosse. Je n’ai jamais, au grand jamais, envie de cautionner ce véritable complot contre la démocratie, cet insupportable hold-up sur les valeurs de gauche qui se prépare sous nos yeux.

    Car enfin, il faut tout de même que des voix de simples citoyens viennent dire à ces « messieurs dames qu’on nomme grands » que, finalement, leur valse des ego commence sérieusement à leur taper sur le système, que l’organisation de ces primaires est peut-être un coup de génie de marketing, mais qu’elle n’a pas grand-chose à voir avec l’expression du peuple de gauche.

    Oui, mesdames et messieurs les dirigeants du PS, votre principe de démocratie directe s’est transformé en une mise en scène, au sens théâtral du terme, des nuances entre vous, des petites phrases, des postures et, ce week-end, des « avignoneries » qui ont dû irriter jusqu’aux cendres de Vilar et de Vitez. Ce n’est pas la valse des ego, ai-je écrit : ce n’est plus du socialisme, c’est de l’ego-ïsme… Ce principe était-il vicié depuis le début ? Je le crois. Fut-ce à votre corps défendant ? Permettez-moi d’en douter. Vous avez tout fait, vous faites tout – et les médias, ignominieusement, participent à l’opération – pour que le peuple de gauche finisse par croire que le choix est entre les ténors socialistes, et non entre vous et un autre gauche.

    Mais Jaurès, là-dedans ? Voyons, réfléchissons. Ce que nous savons de lui – et nous en savons beaucoup – nous permet de dire sans hésiter qu’il n’aurait pu partager les options de ce parti-là.

    Le Parti socialiste d’antan aurait-il pu, même un instant, imaginer que ses couleurs seraient défendues par le leader du FMI ? Faut-il donc qu’une partie de la gauche ait perdu tout réflexe « de classe » (quel gros mot !) pour croire un instant que la direction de cet état-major de l’impérialisme était compatible avec la défense des intérêts populaires ? Peut-on en même temps être de gauche et orchestrer les privatisations forcenées et leur pendant inévitable, les coupes claires dans les budgets sociaux, la misère imposée aux peuples ? Pourquoi diable a-t-il fallu que ce soit cette sordide affaire de Sofitel qui ait éliminé cet homme de droite ? N’auraient-ils jamais, ces dirigeants du PS, entendu, sans cela, les voix de millions de gens de gauche qui disaient : « Non, vraiment, cette fois-ci, je ne peux plus. Je ne voterai DSK ni au premier, ni au second tour ? » Jaurès, lui, s’il n’est pas venu du peuple, y a puisé son inspiration, y a enrichi sa doctrine, passant du républicanisme au socialisme. Jaurès, lui, était avec les mineurs de Carmaux, pas du côté du capital financier.

    Le Parti socialiste d’antan aurait-il pu, même un instant, soutenir les interventions en Afghanistan, en Libye, ces agressions en totalité conformes aux intérêts de l’impérialisme qui se réfugient derrière d’hypocrites raisons humanitaires ? Jaurès, lui, a mené tous les combats contre l’impérialisme, le colonialisme. Faut-il rappeler que c’est pour cela qu’« ils » l’ont tué, comme le chantait Brel ?

    Allons, pas de passéisme… Et aujourd’hui ? Le plus grand danger qui guette la société française est, à mon avis, cette bipolarisation de la vie politique qu’un lobby informel, mais bien actif, veut nous imposer. C’est une alternance à l’américaine, à l’allemande, à la britannique 
qu’il nous prépare, si nous laissons faire : un coup à droite – bien dure : qui met en place un libéralisme sauvage –, un coup à gauche – fort molle : qui se contente d’amortir les chocs, de mettre un peu de baume sur les cicatrices.

    C’est, pour moi, à côté de bien des raisons positives de choisir l’autre gauche, une raison négative : déjouer ce piège, déranger un jeu dont la règle même est viciée. Donc, je voterai Mélenchon.

    Par Alain Ruscio, historien.

    dans le journal  l'Humanité 


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