Waouh ! Beaucoup de lecteurs ont dû s’interroger. Mais, de quoi parle-t-il ? Jean-Christophe Cambadélis en dit trop ou pas assez. Il faut donc décrypter. Quels sont donc ces « arguments des années 30 » que le PG emploierait? En plongeant dans la pensée profonde du professeur Cambadélis (quelle aventure ! j’en ai encore les oreilles qui bourdonnent), je devine qu’il nous compare avec la politique dite de « troisième période » menée par le Komintern et le Parti Communiste, durant l’entre-deux-guerres.

En gros, pour « Camba », Mélenchon et le PG sont les derniers staliniens de France !

 Retour en arrière. À partir de 1927, le PCF considère la SFIO comme étant rien de moins que « social-fasciste ». Cela durera sept années. Les socialistes ne sont pas en reste. Ils refusent dans leur Congrès toute unité d'action avec les communistes, les traitent "d'agents de Moscou" et condamnent souvent les grèves et les marches de la faim dont les communistes sont à l'initiative. Sur le terrain, le coup de poing l'emporte souvent sur la discussion. À partir de 1934, c’est la ligne du Rassemblement populaire donnant naissance au Front pop de 36 qui l’emportera. Mais, entre 1927 et 1934, le climat à gauche était malsain. Un dirigeant communiste, André Ferrat, écrivait par exemple en 1931 : « Au fur et à mesure que se développe cette politique du Parti socialiste et que se modifie sa structure, il devient un parti bourgeois d’un type nouveau : un parti social-fasciste. » Cette orientation, directement inspirée par Moscou où le stalinisme dominait, aura des conséquences lourdes dans plusieurs pays, et notamment en Allemagne. Outre-Rhin, la tragique division du mouvement ouvrier, où pourtant il était si puissamment organisé, permettra aux nazis, soutenus financièrement par de grands groupes industriels, de l’emporter en 1933. Le sectarisme sera payé du prix du sang par nos frères de la gauche allemande. Au PG, nous ne l’avons pas oublié. Leur rester fidèle n’autorise pas non plus d’instrumentaliser l’histoire pour d’autres besognes, tel que le fait le « solférinesque » député de Paris.

 Je devine la manœuvre. Elle est assez lourdingue. Son objectif est de nous imposer un décorum historique datant de près de 80 ans afin de nous flétrir. Back to the future ! Jean-Luc Mélenchon c’est Maurice Thorez insultant les socialistes. Soit. Mais lui, notre donneur de leçon, par qui est-il incarné ? Mystère. On a bien du mal à trouver. M. Strauss-Kahn n’est pas Léon Blum, et M. Cambadélis n’est pas Marceau Pivert. Le PS de 2011 n’est pas la SFIO des années 30 et c’est bien le problème. Je m’explique.

 Considérer en 2011, M. Strauss-Kahn, Directeur du FMI, comme un problème pour toute la gauche, vouloir l’écarter, n’est pas la même chose que de traiter de fasciste Léon Blum, principale figure de la SFIO des années 20 et 30. Soyons franc, la parole et les objectifs de ce dernier étaient à l’opposé des actes récents de DSK.

 Et puis, que l’on cesse les références historiques approximatives. Marre des tartes à la crème balancées par des ignorants ou des amnésiques. Par exemple, la rupture du Congrès de Tours, qui donnera naissance au PCF et à la SFIO, n’avait rien à voir, tel qu’on le raconte aujourd’hui, avec le débat entre réformistes et révolutionnaires ou, comme le reformule pompeusement M. Cambadélis dans son interview, au refus de « …la posture tribunitienne qui est un renoncement à la transformation pratique du pays ». Pitié, quel baratin fumeux !

 Qu'"il professore" reprenne ses classiques. Il doit bien en rester dans sa bibliothèque et l’homme est cultivé. Lors du Congrès de Tours de 1920, Léon Blum dans son célèbre discours expliquait : « Le débat n’est pas entre la conception réformiste et la conception révolutionnaire, mais entre deux conceptions révolutionnaires». Il continuait : « Le socialisme international ou le socialisme français n’ont jamais limité les moyens dont ils se serviraient pour la conquête du pouvoir politique. Lénine lui-même a admis qu’en Angleterre le pouvoir politique pourrait parfaitement être conquis par les moyens électoraux. Mais il n’y a pas un socialiste, si modéré soit-il qui se voit jamais condamné  à n’attendre que d’un succès électoral la conquête du pouvoir. Là-dessus, il n’y a aucune discussion possible. Notre formule à tous est cette formule de Guesde que Bracke me répétait il y a quelque temps : par tous les moyens y compris légaux. »

 Je m’amuse encore de la fin de cet extrait : « y compris légaux ». Imaginez Jean-Luc Mélenchon en train de dire, lors d’une émission TV, qu’il serait prêt à prendre le pouvoir « par tous les moyens, y compris légaux ». Hi, hi, hi… mais, je redeviens sérieux.

Car, ce n’est pas fini. Plus loin encore, Blum ajoutait : « nous avons toujours pensé en France que demain, après la prise du pouvoir, la dictature du prolétariat serait exercée par les groupes du Parti socialiste  lui-même devenu, en vertu d’une fiction à laquelle nous acquiesçons tous, le représentant du prolétariat tout entier (…) Dictature d’un parti, oui, dictature de classe, oui, dictature de quelques individus, cela non ».

« Populiste ! » ou « posture tribunitienne » se seraient écriés M. Cambadélis et ses camarades en écoutant de tels mots aujourd’hui. C’était pourtant cela « les arguments » de la SFIO des années 20 et 30. Et c’est ainsi qu’elle prend le pouvoir en 1936 (pour quelques mois seulement, hélas !).

 

J’arrête là ma démonstration et mes citations. Je veux seulement souligner que M. Cambadélis fait le singe savant, mais fondamentalement, ses références historiques sont, dans le cas présent, à coté de la plaque. La période est totalement différente, et son parti n’est plus comparable à la SFIO, même si il reste, selon moi, un parti de gauche. Non, mille fois non, DSK n’est pas Léon Blum, et Cambadélis n’est pas Marceau Pivert, ce courageux « socialiste de gauche » qui s’est battu dans les années 30 pour que PS et PCF s’unissent devant la menace fasciste.

On peut donc aujourd’hui, tel que le fait le PG, alerter toute la gauche des dangers que poserait la candidature de celui qui mène une politique à la tête du FMI tournant le dos à toute forme de répartition des richesses, sans être un stalinien «reprenant des arguments  des années 30 », ouvrant la voie à une victoire du fascisme. On se calme. La ficelle est trop grosse. Et puis, pour comparer avec les années 30, M. Strauss-Kahn n’a aucune volonté de bâtir un gouvernement de type « Front populaire ». C’est même tout l’inverse. Alors, comment la gauche pourrait-elle se rassembler, au second tour, autour d’un tel personnage ?

Dans quel monde vivent ceux qui ne voient pas le problème ?

Notre principale difficulté avec cet homme est que nous sommes persuadés que, malgré les sondages que l’on nous met sous le nez, il perdra une nouvelle fois contre le candidat de la droite. C’est une évidence que nous n’acceptons pas. Et pour répondre à la conclusion de l’édito de M. Laurent Joffrin, j’affirme pour ma part que dans les primaires du PS : « voter DSK, c’est voter Sarkozy ».

 La politique est un art d’exécution. Se tromper d’époque, c’est perdre pied. En vérité, M. Cambadélis est resté bloqué intellectuellement 40 ans en arrière. À cette époque, à l’OCI (une organisation trotskyste fondée par Pierre Lambert), il combattait avec ardeur l’hégémonie du PCF sur le mouvement ouvrier et la jeunesse étudiante. « Camba » est de cette école-là, qui est aussi la mienne. Elle n’est pas honteuse et fait partie de l’histoire de la gauche. Elle est par contre à présent dépassée, anachronique. Contre les communistes, dans les années 70, Cambadélis a fait feu de tout bois. Il a répété des centaines de fois dans des réunions que les « stâls utilisent les arguments des années 30 »… Mais, le temps a passé, et ce discours tourne encore comme du disque rayé dans sa bouche. Quelle est la valeur d’une telle comparaison en 2011 ? Aucune  à mes yeux.

 Je connais son histoire. Elle n’est pas indigne. En quittant l’OCI, en avril 1986, Jean-Christophe Cambadélis et ses camarades ont rejoint le PS avec l’objectif de bâtir le « nouveau parti de toute la gauche ». Sous entendu, dans les années qui viennent, toute la gauche sera amenée à disparaître et à fusionner en une organisation unique.  Par pudeur pour « Camba » je passe sur tout le verbiage de ses écrits de l’époque, qu’il jugerait aujourd’hui emprunté à « une posture tribunitienne », pour ne retenir qu’une idée : pour que son projet marche, il fallait la mort du PCF ou de toute autre force significative à la gauche du PS. Manque de bol pour lui, la vie est un peu différente que ses projets. Désolé. Le « Front de gauche » vient contrarier sa vieille stratégie. Ni sectaire, ni paillasson, le Front de gauche est bien là. Vivant. Il entend se faire respecter et dire ce qu’il pense. Je rajouterai que le « Parti de toute la gauche » sous la houlette de DSK, concrètement, c’est la disparition de la gauche en France et notre alignement sur le modèle italien, avec les brillants résultats que l’on connaît.

 Les injures de Cambadélis nous traitant de quasi staliniens, ont autant de valeur que celle de son ami, le pitoyable Jean-Paul Huchon, nous qualifiant « de pire que Le Pen ». Nous restons de marbre et nous serrons les dents. Mais cela laissera des traces. Et il serait bon que le PS baisse d’un ton nous concernant.

Précisément, je termine sur une autre histoire. Presque aussi méprisable. M. Benoît Hamon, porte-parole du PS, a décidé lui aussi de nous prendre de haut. Lundi dernier, il a déclaré, nous concernant : «Je souligne juste que le PS ne peut pas être à la fois complice d’une politique qui affame le peuple et en même temps tout à fait fréquentable quand il s’agit de parler circonscriptions législatives ». Il ajoutait « le Parti de Gauche vient en délégation dans les semaines qui viennent, comme il est déjà venu, pour parler des législatives ». Petit menteur. Je mets au défi Benoît Hamon de dire publiquement quelles sont les dates de ces rendez-vous. Cette façon de vouloir nous ridiculiser en pointant un double jeu de notre part est minable. Non, nous n’avons aucun accord sur les législatives. Aucune discussion avec le PS n’a jamais eu lieu à ce sujet. Pire, concernant les élections cantonales, nos relations sont au plus mal, puisque le PS a passé un accord dès le premier tour avec le candidat Europe-Écologie partout où nous avons des Conseillers généraux sortants. Cette stratégie était d’ordinaire utilisée contre le FN.

Ce que fait là M. Hamon n’est pas loyal. Il serait plus urgent qu’il prenne la mesure de la situation et la terrible catastrophe que cela constituerait si DSK devenait le candidat du PS. Un temps, en septembre, il a claironné que si DSK revenait, lui se présenterait aux primaires du PS… et puis, rétropédalage. À présent, depuis novembre, il explique « Dominique Strauss-Kahn est plus proche de ce que dit le PS que ce que pense le FMI ». Triste. Benoît Hamon peut finalement faire ce qu’il entend de sa vie militante. Nombre de ses amis, nous ont reproché de quitter le PS pour fonder le PG sous le prétexte que nous ne comprenions pas le « tournant à gauche » entamé, grâce à eux, à partir du Congrès de Reims… On voit le résultat. À présent, ils ne semblent plus s'opposer à la candidature du Directeur du FMI. Quelle glissade !

Bon garçon, je continue à penser que Benoît Hamon vaut mieux que de porter la parole des ambitions de DSK, avec la morgue du notable établi. Il a subi lui-même cette arrogance pendant tant d’années, qu’il pourrait éviter de la reproduire contre nous.

 Et puis, bah ! Qu’importe après tout. Pour tous les socialistes, qui voudront à coup sûr voter pour des idées socialistes en 2012, le PG et le Front de Gauche existent, malgré les sarcasmes et les insultes de MM. Cambadélis et Hamon.