• Un coup d’État invisible, une conversation instructive, de la nécessité pour le peuple de prendre confiance dans son nombre et sa force, une remarque sur la forfaiture de Gayssot.

     

    Ah ce que je partage la joie des manifestants italiens voyant partir le bouffon proxénète qui déshonorait leur pays mais comme me le dit un ami italien qui vit à Paris « on aurait préféré que ce soit le peuple qui le chasse ». D’ailleurs le fait que ce ne soit pas le peuple qui ait fait ce travail lui permet de revenir au parlement dès cette semaine pour continuer son sale boulot, pendant que le nouveau gouvernement appliquera les mesures d’austérité que Berlusconi a fait voter avant de partir. Car ce qui s’est passé ce week-end est proprement scandaleux et constitue le prologue à une remise en cause de la démocratie dans les États européens. Je ne rentrerai pas dans les détails mais qu’ont obtenu les marchés financiers ces derniers jours ? la nomination d’un directeur de banque centrale à leur solde ainsi que de deux premiers ministres grec et italien entièrement dévoués à l’oligarchie financière qui a mis la main sur l’Europe et ses institutions ; précisons pour les flemmards de l’info qui sont ces trois personnages :

    Mario Draghi : ce banquier, vice-président de la banque d’affaires Goldmann Sachs-Europe qui avait aidé la Grèce à maquiller ses comptes, puis gouverneur de la banque d’Italie, prend la présidence de la Banque centrale européenne. Et c’est lui qui va donner les ordres aux gouvernements en jouant de son autorité monétaire « indépendante ».

    Lucas Papademos : cet ancien dirigeant de la banque centrale grecque (1994-2002), puis ancien vice-président de la BCE durant huit ans (2002-2010), et qui depuis ces deux postes ne pouvait rien ignorer des faux comptes grecs, devient premier ministre grec. Sa condition : un gouvernement d’union nationale qui va de la droite extrême au parti socialiste. L’entrée de l’extrême droite au gouvernement pour la première fois depuis 1973 et la dictature des colonels est tout un symbole.

    Et enfin Mario Monti : cet économiste de la droite libérale, commissaire européen en charge de la concurrence durant dix ans (1994-2004), et à ce titre acteur déterminé de la dérégulation des marchés européens, nommé mercredi sénateur à vie, est devenu premier ministre italien. Sa condition : un gouvernement qui applique à la lettre la rigueur décidée par Bruxelles et le FMI.

    Je vous rappelle quand même que le week-end précédent Papandréou envisageait de donner la parole au peuple via un référendum. Et que c’est devant cette menace d’une intervention démocratique que les puissances financières et les gouvernements à leur solde ont déclenché l’offensive généralisée via la spéculation financière contre les dettes d’État d’une part et le G20 d’autre part. Le résultat : la mise en place de gouvernements soumis aux marchés financiers sans avoir à passer par la case élections. Objectif : assommer les peuples avant l’échéance électorale en espérant que la résignation l’aura emporté sur la résistance. Tout est très clair et quand j’ai entendu ce matin Bernard Guetta se déchaîner contre ceux qui contestent cette atteinte à la démocratie, je me suis dit que cela devait avoir un certain écho pour que ce plumitif s’énerve. Il est vrai que ses commentaires depuis vingt ans sont habités par sa volonté d’effacer sa jeunesse trotskyste et je retrouvais ce matin la même hargne qu’il développait (sans contradicteurs c’est plus facile) en 2005 pour le Oui au TCE. Après tout c’est bon signe. Laissons là l’analyse de la situation européenne et revenons vers ce que nous disent les gens.

    Conversation
    L’une des expériences que j’apprécie le plus c’est lorsque je peux mener une conversation approfondie avec des personnes qui n’appartiennent ni de près ni de loin à un univers militant. Les conversations avec les militants, demi-militants et ex-militants, sont toujours passionnantes même si elles sont souvent polémiques – ce qui n’est pas pour moi un défaut ; le problème est que souvent l’histoire compliquée des uns et des autres biaisent la discussion par le besoin de justifier ou de stigmatiser un passé. Dans mon village j’ai aussi beaucoup d’échanges (sur des sujets les plus variés) avec des habitants de toutes opinions ; mais là le biais résulte du fait que je suis le maire de la commune. C’est pourquoi je ne boude pas mon plaisir lorsque je peux engager une conversation sans que je sois perçu dans mon statut de militant ou de maire. Cela permet de mesurer ce qui se construit dans les consciences du grand nombre et de prendre la mesure de ce qui vient. L’occasion m’en a été donnée, lors d’un passage en Bretagne où j’étais rendu pour des raisons familiales. Ce fut une soirée de discussion de voisinage avec quatre quadragénaires : deux hommes (professeur des écoles passionné par son métier, non syndiqué, qui dit s’ennuyer quand on parle politique ; un informaticien à Vannes en recherche d’emploi après un licenciement), deux femmes (une actuellement contractuelle à la Poste, l’autre secrétaire médicale). Le plus étonnant tient à ce que la soirée ne fut pas exclusivement consacrée à des problèmes de voisinage, de météo ou de cuisine mais à la dette, à la crise financière et à la politique, alors que ces personnes s’affirment peu intéressées par la politique ; les quatre ont « oublié » de voter au premier tour en 2002 puis ont voté Chirac au second, s’abstiennent aux autres élections sauf certains aux municipales, se sont partagés en 2007 entre Sarkozy, Bayrou et Royal… (voilà pour le décor).

    Sans entrer dans les détails je tire de cette soirée beaucoup d’enseignements : d’abord une vraie angoisse sociale sur leur avenir, celui de leurs enfants comme sur celui du pays ; la crise fait son travail de taupe dans les têtes et le chômage rôde comme une menace pour tous. Ils ont peur pour le lendemain et le disent. Ces personnes n’étaient pas ainsi il y a deux ans, la dernière fois que je les avais rencontrées. Alors que leur situation matérielle ne s’est pas vraiment dégradée elles pensent que la chute est possible demain pour chacune d’entre elles. L’une d’entre elles a fait part du désespoir de l’une de ses amies grecques qui lui a téléphoné récemment pour lui donner son sentiment d’un effondrement général autour d’elle. Une peur envahit le corps social ; je n’ai pas ressenti pour autant que cela provoquait chez ces interlocuteurs d’un soir une paralysie ou un fatalisme. Mais plutôt comme une colère sourde sous-tendant l’idée encore vague qu’il doit bien y avoir un moyen de s’en sortir et que ce moyen ne réside manifestement pas dans ce que leur proposent les dirigeants européens et nationaux.

    C’est cette deuxième leçon que je tire de cette conversation : il émerge cette volonté de saisir ce qui se passe, un certain degré de compréhension qui participe des visions alternatives au discours libéral dominant. Je m’attendais au moins aux remarques habituelles « la dette il faudra bien la rembourser » / « on a vécu au dessus de nos moyens » / « 80% c’est énorme »… Eh Bien non. C’est d’abord la conscience que la dette est utilisée comme un chantage pour faire passer des mesures d’austérité encore plus fortes. De ce point de vue, accélérer le passage à la retraite à 62 ans leur est apparu comme un prétexte : cette mesure ne rapporte pas un sou dans les deux ans qui viennent et ne contribue pas à réduire le déficit public. L’idée que les mesures d’austérité sont à la fois injustes (parce qu’elles frappent plus le travail que le capital, les pauvres et les classes moyennes plus que les riches) et inefficaces fait son chemin : quel ne fut pas mon plaisir d’entendre développer chez l’un des convives l’idée simple et claire que la réduction des dépenses publiques au moment même où l’activité se ralentit va accroître la récession et, via une réduction des recettes de l’État, augmenter le déficit … Bref cette idée « keynésienne » absente des grands commentateurs de télé et radio finit par trouver l’oreille des gens. Une autre idée répétée par le Front de gauche passe de plus en plus : pourquoi la BCE prête-t-elle à 1% aux banques et celles-ci ensuite aux États à 7 ou 9, voire plus de 15% comme dans le cas de la Grèce ? Manifestement Jean-Luc Mélenchon commence à être entendu. Que ces questions économiques et monétaires soient ainsi saisies par un public large, c’est à mon avis un signe que se fait jour dans le peuple la recherche d’issue à l’impasse, l’expression d’une volonté des gens de s’en sortir.

    Naturellement à un moment de la discussion je leur ai dit mon appartenance au Parti de Gauche et au Front de Gauche. Mais pour la première fois depuis des mois dans ce type de discussion élargie je n’ai pas eu à reprendre en détail les arguments économiques, monétaires et financiers contre l’idéologie dominante. Je n’avais sur ces questions qu’à accompagner et préciser leurs propres arguments.

    Prendre confiance dans ses propres forces


    Dans cette conversation, le doute apparaît dés qu’on aborde la question de l’issue politique. Certes l’un des quatre ayant voté Sarkozy n’est pas prêt à le refaire. Mais il y a un doute sur la gauche et Hollande en particulier : pèse son image de mou imprécis qui ne fait que dire des choses à la fois répétées depuis des années par le PS et guère différentes des discours de la droite ou des autres gouvernements européens.
    « Donner du sens à la rigueur », je peux le dire, ça ne passe pas. Ceux qui ont voté Royal ou Bayrou en 2007 ne croient plus dans ces personnages politiques. Certes quand je leur ai présenté le programme du Front de gauche et la candidature de Mélenchon, l’intérêt était palpable mais le doute aussi. En creusant, le doute ne portait pas sur le réalisme de nos positions (l’axe habituel des commentateurs télévisés). La définanciarisation organisée de l’économie, la révolution fiscale frappant les plus riches, la révolution démocratique des institutions, la planification écologique…. tout cela, lorsqu’on l’explique simplement, trouve leur accord. Alors sur quoi porte le doute ? Clairement un des convives me dit « Aurez-vous la force suffisante pour le mettre en œuvre ? » Au début je croyais qu’il m’interrogeait sur notre capacité électorale à nous imposer comme majoritaire dans une nouvelle majorité de gauche. En fait j’ai compris que mon interlocuteur s’interrogeait sur la force qui sera nécessaire aux citoyens pour s’imposer aux marchés financiers et au capital.

    La question n’était donc pas : « Est-ce que vous Front de gauche vous serez assez fort ? » ; mais plutôt : « Est-ce que nous, le peuple, on sera assez fort ? ». On touche là au cœur de ce que doit être la campagne du Front de gauche. Si nous ne sommes qu’une offre politique dans le supermarché électoral, il sera difficile d’élargir notre audience, certes déjà bien assise mais insuffisante par rapport à ce pourquoi le Front de gauche s’est constitué. Notre campagne doit devenir un moyen de construction de la confiance du peuple dans ses propres forces. Déjà notre travail de popularisation des argumentaires joue un rôle essentiel ; il doit être poursuivi et amplifié. Chaque moment de la crise nous en donne l’occasion. Ainsi dans la soirée j’ai fait un petit résumé du passé du nouveau directeur de la BCE, des nouveaux premiers ministres grec et italien ; mes interlocuteurs en ont été proprement scandalisés. Tous les trois ont été peu ou prou des conseillers et hommes de Goldman Sachs, l’une des plus puissantes banques d’affaires américaines au cœur même des manipulations financières à l’origine de la crise.

    Ce travail argumentaire est essentiel car il contribue à libérer les consciences de toute la gangue libérale et ainsi à permettre aux citoyens de penser par eux-mêmes ; ce qui est toujours un levain de la transformation. Le net et la démultiplication de ces arguments dans les réseaux amicaux de toute sorte va jouer son rôle. Par nos réunions de quartier, par nos séances d’écoute collective, par la puissance de nos meetings nous allons aussi contribuer à donner cette confiance dans le nombre et la force qui en découle. Le fait aussi de se retrouver des centaines de milliers voire des millions à pétitionner contre la dictature des marchés va être important. De la même manière est importante la popularisation des nombreuses luttes qui ne vont pas décliner sous prétexte d’échéance électorale. Le Front de Gauche doit se concevoir comme la construction de cette confiance du peuple dans ses propres forces. Le résultat électoral sera lui-même à terme un élément de la construction de la confiance populaire. Le début de campagne électorale se déroule sur ce fond de crise permanente avec ses rebondissements quotidiens, on voit déjà se dégager les 4 à 5 propositions du Front de gauche avec lesquels la candidature de Mélenchon va s’identifier. Cela va encore se préciser dans les semaines qui viennent ; j’aurai l’occasion d’y revenir en détail.

    Un mot sur Gayssot


    Un ami parisien m’avertit de la tribune du jour dans Libération contre le Front de gauche et pour Hollande et me dit qu’il faut répondre car il présente cela comme « communiste » donc venant du sein du Front de gauche. Or il est significatif qu’ici en Languedoc-Roussillon personne ne l’ait vu comme ça. En effet, ici Jean-Claude Gayssot a quitté depuis longtemps le PCF pour aller sur la liste de Georges Frêche et se faire élire Vice-président de la région. Tête de liste à l’époque de la liste commune Front de gauche-NPA j’ai le souvenir d’un Gayssot incapable d’assumer un quelconque débat et faisant partie des plus haineux contre les listes de gauche…..Fidèle soutien de Navarro et de sa pizza connection (qui aujourd’hui contrôle la région depuis le décés de Frêche) plus personne à gauche ne pense ici que Gayssot agit par lui-même : il n’est donc pas étonnant que dans le cadre de la campagne menée depuis quelques jours par Hollande et son entourage contre Mélenchon on ait demandé au stipendié Gayssot de signer un papier en tant que « communiste ». Que mes lecteurs extérieurs à cette région ne se fassent pas avoir. Je commençais à lui écrire une réponse lorsque je suis tombé sur ce billet écrit par Alexis Corbière, maire adjoint PG du XIe à Paris, qui connait bien Béziers et qui a vu le désastre politique et électoral de Gayssot dans cette bonne ville héraultaise.

    René Revol


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