• Détrousseurs de haut vol

    Séisme mondial : 11 300 milliards volés par 35 chefs d’État et 130 milliardaires

    Tsunami mondial. 11 300 000 000 000 dollars. C’est le montant révélé par les « Pandora Papers », l’enquête la plus importante jamais menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Ces derniers mois, 600 journalistes de 150 médias répartis dans 117 pays ont épluché 11,9 millions de documents issus de 14 cabinets spécialisés dans la création de sociétés offshore. Et le résultat de l’enquête, publiée ce dimanche 3 octobre 2021, devrait provoquer un tremblement de terre sur l’ensemble du globe : ce sont plus de 11 000 milliards de dollars qui sont volés par 35 chefs d’État et 130 milliardaires. Il suffirait de 267 milliards, 2,6% de ce magot, pour éradiquer la faim dans le monde. Il suffirait de 5 milliards pour étendre le RSA aux jeunes de 18 à 25 ans. Alors que le thème de la sécurité est omniprésent dans le champ médiatique, parlons délinquance en 2022. Notre article.

    Un séisme. À côté les scandales des LuxLeaksPanamaPapers et autre ParadisePapers semblent miniatures. Pour l’enquête des PanamaPapers, dont les révélations avaient provoqué une onde de choc planétaire le 3 avril 2016, seules avaient été analysées les données du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca. L’enquête publiée ce dimanche est le résultat de 11,9 millions de documents épluchés issus de 14 cabinets spécialisés, décortiqués pendant des mois par plus de 600 journalistes répartis dans 117 pays : la plus grande enquête d’investigation jamais réalisée.

    Néanmoins, il y a fort à parier que ce scandale mondial suscite moins d’émotion qu’une vidéo d’un délinquant qui tabasse une passante pour lui voler son sac, comme le fait remarquer la journaliste économique Salomé Saqué. En effet, l’accumulation des scandales d’évasion fiscale ces dernières années semble avoir quelque peu blasé le grand public. Cependant, on parle ici de 11 300 000 000 000 de dollars : ce chiffre est d’un ordre de grandeur tel qu’on a peut-être plus de mal à mesurer la réalité du vol. Quand un cambrioleur pénètre chez nous et nous vole 1000 euros, le vol s’inscrit dans notre chair. Ici, le montant semble invraisemblable et rend le scandale plus lointain.

    Et pourtant, les conséquences de ce cambriolage mondial sont bien concrètes : nos hôpitaux laissent mourir des patients dans les couloirs par fautes de moyens. Nos soignants ont affronté la crise sanitaire la plus dévastatrice du siècle… en sac poubelle. Nos enseignants font cours à des classes de 35 élèves et commencent avec un salaire à peine au-dessus du SMIC. Le salaire minimum justement, reste gelé, comme le point d’indice des fonctionnaires. On estime à désormais plus de 10 millions, le nombre d’être humain survivant sous le seuil de pauvreté dans notre pays. Nos étudiants font la queue pour pouvoir bouffer. Et ainsi de suite.

    Pour se faire une idée de l’ampleur du braquage, un chiffre : 267 milliards, c’est le montant qu’il faudrait investir pour éradiquer la faim dans le monde. Soit 2,6% des 11 000 milliards de dollars des Pandora Papers. Nos étudiants font des queues interminables pour se nourrir ? Le coût de l’extension du RSA aux jeunes de 18 à 25 ans, réclamé par La France insoumise (LFI), a été estimé par le gouvernement à 5 milliards d’euros. Une somme bien dérisoire rapportée au magot du cambriolage.

    Les conclusions de cette vaste enquête laissent sans voix. L’argent des paradis fiscaux sert toujours à acheter des jets privés, des yachts, des manoirs, des œuvres d’art de grands maîtres… L’enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) confirme l’étude réalisée en 2020 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui évaluait à 11 300 milliards de dollars les sommes détenues dans des places offshore, qui permettent de transférer les bénéfices des pays à forte imposition où ils sont réalisés vers des sociétés qui n’existent que sur le papier, dans des juridictions à faible imposition.

    Les plus grands criminels sont en costumes, et ils ont un nom, ils ont une adresse, ils s’appellent Tony Blair, Dominique Strauss-Kahn, le roi Abdallah II de Jordanie, Najib Mikati (Premier ministre du Liban), Andrej Babis (Premier ministre tchèque), Leonid Lebedev (proche de Vladimir Poutine)… Ils sont au total 35 chefs d’État et 130 milliardaires en bande organisée.

    En cette rentrée où l’attraction médiatique s’appelle Éric Zemmour, où les thèmes sécuritaires prédominent l’agenda médiatique, parlons sécurité, parlons délinquance. En ne consacrant que des miettes à la lutte contre l’évasion fiscale et la délinquance financière, on tolère l’existence de ces paradis fiscaux, et on protège l’activité de trafiquants (de drogues, d’armes, d’organes), mafieux et meurtriers en tout genre (clients de ces « paradis » fiscaux). Cette opacité tue. Elle tue les victimes des mafias, elle tue ceux qui n’auront pas pu être soignés à temps faute d’un système de santé efficace. Elle assassine toutes les victimes collatérales de systèmes sociaux défaillants.

    Mais le champ médiatique passe plus de temps à parler de la petite délinquance, celle de celui qui achète une plaquette de shit et la découpe en barrettes pour remplir le frigo. Le ministre de l’Intérieur préfère répandre des fake news, affirmant qu’un dealer de cannabis gagnerait 100 000 euros, ridicule pour qui connait la réalité sociale des quartiers populaires. Le ministre de l’Éducation préfère lui aussi répandre des fake news sur les pauvres qui utiliseraient le trésor des allocations de rentrée scolaire, pour s’acheter des écrans plats. Un mythe basé sur… aucune source, comme l’explique ici brillamment Daniel Schneidermann.

    À côté de ces 11 300 milliards de dollars braqués, le « pognon de dingue » que l’on mettrait dans les aides sociales selon Emmanuel Macron, est une cacahuète. Ce séisme mondial doit être l’occasion de remettre les pendules à l’heure face à la droitisation du champ politique et médiatique : non ce ne sont pas les pauvres qui coûtent un pognon de dingue, mais bien les riches qui vivent au-dessus de nos moyens. Les plus grands délinquants ne sont pas en cols bleus mais en cols blancs. Ce qui nous coûte cher n’est pas le travail, mais bien l’accumulation du capital. Les plus grands criminels sont ces chefs d’État véreux et ces milliardaires. Parlons délinquance en 2022.

    Par Pierre Joigneaux.


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