• ECOLE

    Publié dans l'Humanité Dimanche n° 220 semaine du 15 au 21 juillet 2010
    Stéphane Bonnéry,
    Maître de conférences en Sciences de l’éducation
    Membre du CN du PCF
    Une fin d’année scolaire révélatrice : enjeux cruciaux, prétextes et choix opposés.
    Début juillet, les résultats du baccalauréat alimentent les chroniques. Le plus souvent sur le ton de la déploration du « niveau qui baisse » ou sur celui, en apparence opposé mais finalement très proche, de la satisfaction des pourcentages de reçus au diplôme (ou plus généralement des passages de classes en classes) comme d’une fin en soi qui évacue la question des apprentissages réels et celle des élèves qui ne l’ont pas obtenu.

    Stéphane Bonnéry,
    Maître de conférences en Sciences de l’éducation
    Membre du CN du PCF
    Publié dans l'Humanité Dimanche n° 220 semaine du 15 au 21 juillet 2010

    Cette année, en outre, la réforme du lycée qui prend prétexte des « rythmes scolaires » vient se greffer dans le débat. Les arguments trompeurs font ainsi avancer des objectifs inégalitaires cachés et révèlent une question qui se pose à l’école : celle de la volonté, de la possibilité ou du renoncement à conduire simultanément un accroissement de l’accès aux études longues pour toute une génération et le maintient d’un niveau d’exigences.
    Le niveau, c’est-à-dire ?
    « Le niveau baisse » ? Cette lamentation existait déjà il y a plus d’un siècle ! Aujourd’hui, elle sert de prétexte pour s’attaquer à l’école publique et à la démocratisation scolaire ; c’est mal répondre à ces attaques que d’esquiver le problème.
    Plusieurs études montrent qu’il faut être très nuancé dans l’appréciation. L’ensemble d’une génération atteint aujourd’hui un niveau de connaissance plus important qu’autrefois. Mais les inégalités sociales d’acquisitions de savoirs entre élèves demeurent et on ne peut s’en satisfaire, ce doit même être l’une de nos priorités.
    Sous un autre angle, celui des exigences faites aux élèves, un double mouvement s’opère. D’un côté, on simplifie à outrance les exigences faites à une partie des élèves (socle commun...) et d’un autre côté, à chaque niveau de classe et dans les différentes disciplines, l’activité intellectuelle attendue des élèves va croissante, parce que c’est ce que requiert le monde de demain où la vie citoyenne et sociale comme la vie professionnelle sont de plus en plus structurée par des informations et de connaissances complexes.
    Cette contradiction se retrouve dans les prescriptions officielles, dans les classes, et pèse donc sur les enseignants et les élèves. Les supports culturels dès le plus jeune âge, par exemple la littérature de jeunesse, « disent » moins explicitement au lecteur ce qui doit être compris d’un album, mais le considèrent comme un enquêteur sur le sens du livre, le sollicitent pour qu’il tire des conclusions, etc. Les savoirs scolaires sont, dès le plus jeune âge, plus notionnels : en histoire, on ne mémorise plus seulement un texte relatant ce qu’était la vie à telle époque, mais il faut comprendre le système politique et économique. Et on ne se contente plus de faire réciter du tout prêt, mais de conduire l’élève à des déductions, à des classements et des généralisations de cas, dans toutes les disciplines dès le plus jeune âge.
    Il faut ouvrir un débat sur l’âge à partir duquel cette sollicitation à l’abstraction est nécessaire, et les étapes et les modalités à mettre en oeuvre pour le permettre. Car à considérer qu’il « suffit » de la solliciter chez l’élève, on ne crée pas suffisamment les conditions pour que chacun l’acquière. En aucun cas cela ne doit conduire à renoncer à l’ambition de former tous les élèves à ces activités intellectuelles plus complexes.
    Or, c’est précisément le choix fait par la droite et ceux qui défendent le « socle commun » en élémentaire et collège : cette réforme démantèle le programme qui s’adresse à toute la classe d’âge, en dissociant ce qu’on se limite à enseigner à une partie des élèves (le socle), condamnés à ne pas être préparé aux études longues, et le programme complet pour les autres qui sont considérés comme « capables ». C’est encore le choix fait dans la réforme du lycée en dissociant le « tronc commun » de toutes le options choisies individuellement. Cette individualisation des parcours se retrouve à tous les niveaux, sous prétexte de respecter de soi-disant « rythmes » individuels : c’est ainsi que ces réformes essaient de résoudre, par l’inégalité croissante, la tension entre allongement des études et accroissement des exigences : celles-ci sont réservées à une minorité. Non pas parce que l’école aura les moyens de le leur enseigner, ni que ces élèves sont plus « doués » mais parce que, dans un temps réduit d’enseignement (suppression des samedis matin, et bientôt les après midi ne seront plus assurés par l’éducation nationale), cette partie des élèves pourront apprendre ces savoirs complexes grâce à l’aide de leur famille, aux cours privées, ou aux cours « d’option » qui ne seront pas présent dans tous les établissements.
    Face à des exigences de savoir croissantes dans la société, des choix opposés se présentent : il n’est pas crédible de vouloir combattre les inégalités sans remettre en cause les logiques de ces réformes. Quand à gauche, le PS dit vouloir donner la priorité à la maternelle et aux ZEP, sans remettre en cause les logiques d’individualisation et de séparatisme social du tronc commun, le risque est grand de ne faire qu’un peu de rattrapage compassionnel inefficace face aux grands enjeux éducatifs. Quand parfois, y compris chez des partenaires du Front de Gauche, on sent de la nostalgie pour une école du passé, le risque est grand de minimiser les défis à relever pour enseigner à tous les élèves des contenus de savoirs plus complexes : il y a besoin d’un cap politique des réformes de structure pour que l’action pédagogique ne soit pas désarmée, pour que l’appel à l’action pédagogique des enseignants ne les laisse pas seuls avec le problème en cachant une démission politique.
    Alors, quelle alternative ?
    Plusieurs axes de projet sont à mettre en débat, au service des luttes pour une nouvelle phase de démocratisation scolaire. Listons en rapidement quelques uns qui mériteraient d’être détaillés.
    1) définir politiquement le modèle d’élève qui doit piloter le système scolaire
    Il faut en finir, purement et simplement, avec le socle commun. Mais affronter aussi la difficulté : il ne suffit pas de définir un programme ambitieux « dans l’absolu », disjoint des conditions et des possibilités de l’enseigner à tous. C’est ce que la gauche au pouvoir a trop fait, ouvrant la porte au renoncement.
    Pour sortir de la dichotomie entre contenus exigeants et apprentissages par tous, il faut en finir avec l’idée (structurante des programmes et de bien des outils pédagogiques à disposition des enseignants) que l’élève normal serait celui qui vient à l’école déjà dans la connivence avec ce qu’on va lui enseigner. Dès le plus jeune âge, l’école doit se faire à l’école, et ne pas supposer que la famille doit enseigner des pré-requis scolaires. Retravaillons les programmes en prenant pour modèle l’enfant qui n’a que l’école pour acquérir les savoirs et les modes de pensée scolaires. Ainsi, les familles populaires, majoritaires, ne seront plus pénalisées par un système qui leur reproche de ne pas avoir à la maison une éducation scolaire. Et les familles qui ont fait des études longues, verront enfin l’espace familial consacré à autre chose qu’à sur-intensifier la préparation à la scolarité. Tout le monde a à y gagner.
    Il faut en finir avec l’individualisation des parcours, qui repose sur l’idée que chacun va choisir d’apprendre ce qu’il est déjà disposé à acquérir car il en perçoit déjà l’intérêt. L’individualisation est un obstacle à l’émancipation de chaque sujet humain : elle l’enferme sur lui-même. Au contraire, il faut pousser plus loin dans les programmes et les pratiques ce en quoi l’appropriation des savoirs construits par l’humanité, ces biens collectifs, est un bénéfice pour chacun : des savoirs montrant le pouvoir qu'ils procurent pour comprendre le monde, pour n’être pas manipulé, pour élargir ses propres centres d’intérêt.
    Cela implique de démarchandiser le savoir, de le libérer des horizons restreints à l’application dans lesquels veulent les enfermer le patronat et les réformes en cours. D’autant que l’on sait que l'échec est accru quand l'élève croit les savoirs inutiles ou juste utiles à une application sans réflexion : la réussite dans l’apprentissage passe par une école qui soit mieux à même de susciter l’intérêt de comprendre, plutôt que de se contenter d’attendre les élèves qui sont déjà intéressés « individuellement » (c’est à dire socialement préparés).
    C’est un enjeu de civilisation que de définir ainsi la mission de l’école pour préparer tous les futurs adultes à un même niveau exigeant de culture commune pour vivre dans la société de demain. L’école doit mieux être l’instrument par lequel la société s’assure de ce qui fera à l’avenir culture commune, et ce qui fera la maîtrise par chaque personne des enjeux du devenir collectif et de l’émancipation personnelle grâce à la connaissance.
    2) des conditions d’enseignement et d’études pour l’égalité
    Il ne s’agit plus donc de séparer les élèves sur lesquels on mise des autres, mais de se doter des conditions d’enseigner la même chose à tous jusqu’au collège puis à tous dans chacune des filières. Car si tous les élèves sont capables d’apprendre, ce n’est pas à n’importe quelle condition pédagogique. La redynamisation de la formation des enseignants, si fortement déstabilisée par les réformes en cours, est une nécessité : pour maîtriser mieux les savoirs du programme et à la fois (et ne pas opposer les deux) apprendre à les enseigner. Et il faut financer des recherche sur l’échec scolaire, associer les enseignements à la réflexion sur les pratiques de démocratisation.
    La carte scolaire repensée, dans des établissements aux exigences égales avec des populations mélangées, découle de ces choix, qui doivent s’articuler à des politiques égalitaires d’aménagement du territoire.
    Le nombre d’enseignants par élève n’est pas négligeable. Mécaniquement, un plus grand nombre d’élèves entraine une surcharge de corrections, donc une diminution du nombre de travaux demandés aux élèves... et ainsi une prise en charge moindre par l’école de l’appropriation des savoirs, renvoyant l’élève vers ses dispositions personnelles ou familiales.
    Le temps est aussi important. Comment faire croire qu’en supprimant la maternelle, les samedis matins en élémentaire, et bientôt les après-midis au nom des « rythmes » (pour en fait décharger l’éducation nationale de cette responsabilité et des personnels, en transférant cette mission vers les collectivités locales et le privé, vers les familles, ce qui est forcément inégalitaire), on va accroitre les possibilités d’enseigner à tous. Même si cette idée prend à rebrousse poil les idées naïves sur le sujet : il faut augmenter le temps scolaire sur la durée d’une vie (donc allonger les scolarités) et de chaque année (à l’opposé des réformes en cours).
    Ainsi, une nouvelle phase de démocratisation scolaire est nécessaire et possible, en accroissant à la fois l’allongement des études pour tous et les exigences intellectuelles à chaque niveau d’études que l’école doit avoir les moyens de développer. D’autres idées existent, dans les syndicats, les associations de parents, les mouvements pédagogiques : confrontons, débattons, imposons ainsi l’idée d’une alternative en construction à la base.

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