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Front de Gauche : l'analyse impossible
La montée du Front de Gauche reste largement incomprise des éditorialistes, la preuve caricaturale avec cette mouture de C dans l'air du 28 mars où quatre d'entre eux, devisant entre gens de bonne compagnie, tentent désespérément d'y trouver leurs repères habituels sans y parvenir.
Il y a une forme de jubilation à voir ces éditocrates que l'on entend du matin au soir et du soir au matin essayer de comprendre la montée en puissance du Front de Gauche. Leur analyse se borne à considérer cela comme une sorte de folklore, avec un phénomène de foire nommé Jean-Luc Mélenchon. S'ils sont convaincus de son indéniable talent, il y a ce moment extraordinaire où R.Dely admet que la plupart des journalistes ne se sont jamais intéressés à son programme à vingt jours du premier tour. Quel terrible aveu!
On aura bien les petits rires de connivence lors de l'évocation du SMIC à 1700euros, une adhésion générale à l'idée selon laquelle Mélenchon adapte sa stratégie en fonction des sondages (comme les autres) ou encore la reconnaissance de la qualité de sa campagne, mais finalement ce qui saute aux yeux c'est bien leur totale incompréhension de ce qui est en train de se passer. Pourquoi des gens bardés de diplômes, devisant tranquillement autour d'une table ne parviennent-t-ils pas à, ne serait-ce, qu'approcher d'un début d'analyse?
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Tout simplement parce que pour analyser le Front de gauche ils utilisent leurs raisonnements habituels qui sont, c'est malheureux à dire, les sondages et manifestement une absence complète de recul historique.
Car ce que nous avons sous les yeux, c'est bien la naissance d'un nouveau courant politique dans notre pays. Il est né il y a trois ans, et il est composé d'un mélange de socialisme (donc par définition de rupture avec le capitalisme), d'écologie politique et de républicanisme. C'est une synthèse qui n'existait pas sur la scène politique française et je serais tenté de dire européenne, et qui condense les réflexions politiques de la gauche des trente dernières années. On peut la réprouver mais c'est une synthèse cohérente, cela va dans le sens de l'histoire politique de notre pays, ne pas le voir et regarder cela comme un épiphénomène est un grave manque de sens politique.
D'autant que le Front de Gauche avance à visage découvert, depuis le début la stratégie est décrite dans tous les écrits, notamment ceux du parti de gauche et de Mélenchon, c'est une stratégie politique très réfléchie, il n'y a aucune improvisation. La seule difficulté existante pour les éditorialistes était de se procurer et de lire ces textes non estampillés "dépêche prioritaire" par l'AFP. Quel travail de recherche immense, manifestement hors de portée des médias de masse. Or ce nouveau courant de politique dans l'histoire de notre pays était désespérément attendu par une grande partie de la population qui ne se sentait plus représentée par les courants politiques passés. Mais manifestement, tous ces milliers et milliers de gens viendraient uniquement admirer un showman, peut-être parce que c'est comme cela que toute la bonne société aime se représenter le Front de Gauche. Ils ne peuvent admettre la cohérence d'une telle formation, car cela aboutirait à détruire leur schémas de pensée habituels, c'est trop violent psychiquement mieux vaut faire comme si rien n'avait changé. Il est vrai qu'un second tour Mélenchon-Sarkozy briserait toutes les magnifiques supputations de nos experts depuis plus d'un an, et révèlerait leur ridicule. Que deviendraient toutes ces heures d'émissions, ces centaines de pages "d'analyses", tous ces portraits psychologiques, ces kilomètres de sondages devant l'annulation de leurs prévisions?
Tout cela apparaîtrait aux yeux même des producteurs et du peuple comme une immense perte de temps, et surtout une incompréhension complète jusqu'à l'absurde.
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Mais à quinze jours du premier tour les esprits se tendent devant un phénomène inexplicable avec les outils intellectuels classiques des dominants, et les insultes anti-communistes pleuvent. Rappelons que le communisme telle que Marx et Hengel l'avait écrit dans leur manifeste reposait sur trois piliers: le partage des richesses, la dictature du prolétariat devant aboutir à une société sans classe. Or de ce programme le PCF, et le Front de gauche, n'y pioche dorénavant que le partage des richesses, le reste ayant été abandonné depuis les années 70. Seule LO, comme l'explique très justement sa candidate continue de soutenir mordicus la ligne pure.
Finalement, vu le degré de confiance des français envers leurs médias et les dirigeants de l'UMP et du PS, cette situation sert plutôt le Front de Gauche et elle en est même amusante. En revanche je m'étonne que tous ces médiacrates ne puissent encore admettre une autre hypothèse pour le second tour, comme si un blocage ou un déni les en empêchait. Probablement que nous sommes là encore devant un phénomène de dissonance cognitive.
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A défaut de comprendre et en utilisant les mêmes armes intellectuelles, à savoir les sondages, nos "experts" devraient envisager une autre hypothèse. Dorénavant Mélenchon est à 15% et Hollande à 27%, ils admettent eux-même qu'il y a une marge d'erreur d'environ 2%, ce qui revient dans le cas le plus favorable au Front de Gauche à un score possible de 17% pour Mélenchon et de 25% pour Hollande. Or, toujours d'après les études d'opinion, environ 32% des électeurs n'ont toujours pas arrêté leur choix pour le premier tour. Dès lors des scores de 21% pour Hollande et de 22% pour Mélenchon ne sont-ils pas mathématiquement envisageables?
article paru dans MédiaPart
Tags : gauche, politique, front, melenchon, cela
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