-
Jean-Luc Mélenchon: un candidat qui soigne sa gauche!
Interview publiée dans Le Sarkophage
Le Sarkophage : Les gauches ont toujours été divisées entre courants productivistes et antiproductivistes. Comment as-tu personnellement vécu cette histoire ? D’où viens-tu dans ce domaine, et comment te situes-tu aujourd’hui ? Serais-tu d’accord pour dire que tu es en train de vivre ta propre révolution écologique et antiproductiviste ?
Jean-Luc Mélenchon : Dans les tout premiers mouvements où j’ai milité, on était pour l’alignement par le haut sur les standards de consommation les plus élevés. C’était notre manière de voir le progrès humain. Il faut dire que les conditions matérielles de la vie quotidienne restaient rudes pour beaucoup. Tout le pays n’avait pas encore accès a l’électricité, les logements insalubres pullulaient, et ainsi de suite. Notre façon de voir nous a aveuglés sur le long terme, mais elle a aussi eu ses fruits dans le court terme. Il y a eu du bon pour le confort matériel et donc une part de l’émancipation individuelle, notamment celle des femmes. Mais aujourd’hui, les dégâts du productivisme sont assez visibles pour imposer le débat à son sujet.Il existe aussi une perception élargie de la vanité de l’être par la consommation. Bien sûr la pauvreté et la frustration d’une masse considérable de gens rendent cette perception délicate à exprimer et même à penser correctement. Il n’empêche ! Même ceux qui n’ont accès à presque rien ne demandent pas pour autant de participer au modèle orgiaque et irresponsable des catégories sociales les plus consuméristes. En toute hypothèse, beaucoup perçoivent que le modèle consumériste consiste en une fuite en avant que l’on finit par ressentir comme dérisoire. Le cycle de renouvellement des machines a été divisé par deux en dix ans. Celui des objets usuels davantage encore. Mais qui rêve d’une société où tout serait mieux si l’on pouvait avoir trois voitures par ménage et un écran plat dans chaque pièce ?
Certes, les courants productivistes et antiproductivistes ont une longue histoire dans la gauche. Le productivisme n’était pas une attitude consciente et construite comme telle, à l’inverse de l’antiproductivisme. Il allait de soi. On ne comprenait même pas en quoi consistait le contraire. Les thèses sur la croissance zéro du club de Rome au début des années soixante-dix furent vite cataloguées à droite et, par extension, tout se qui s’y rapportait. On ne faisait pas du tout le lien entre la critique du capitalisme et celle du productivisme.
Mon cheminement personnel s’est fait, cette fois-ci comme les autres, le crayon à la main, en partant du constat de l’impasse de notre projet. Mon point de départ fut dans un travail pour revisiter l’ensemble de ce que je nommais « l’arrière-plan non dit » de notre modèle marxiste de critique de l’économie politique du capitalisme. Je m’étais concentré sur les références scientifiques qui organisaient le cadre théorique de notre matérialisme historique. Mais la visée était large. Je cherchais à tirer des conclusions pratiques de l’impossibilité de prévoir en sciences politiques et de l’absurdité de s’en remettre à un sens spontané de l’histoire. Le développement des forces productives ne pouvait être le vecteur central du progrès humain.
Quel mode de pilotage proposer alors ? J’en vins donc aux indicateurs de progrès humains et au développement durable. Au moment où je travaille, c’était en 1991, le PNUD vient de publier son premier rapport sur le développement humain, et le rapport de Gro Harlem Brundtland vient de paraître. Je n’accède à ce dernier d’ailleurs que par une édition canadienne ! J’ai publié mon travail. À la conquête du chaos est un livre certes très approximatif. Mais il contient à peu près l’essentiel des thèses sur lesquelles j’ai reconstruit ma pensée matérialiste. L’année suivante j’ai eu l’honneur de participer aux côtés de François Mitterrand à sa délégation au sommet de la terre à Rio. Et au congrès du PS de 1992 le texte que j’ai rédigé pour mon courant présente pour la première fois dans un document socialiste français les deux thèmes du développement humain et durable. Le seul qui s’y intéressa fut Laurent Fabius qui s’exprima ensuite sur la ligne de l’écolosocialisme. Dont il ne fit rien, hélas.
Aujourd’hui, le parti que je copréside, le PG, propose un indicateur de progrès humain (IPH) totalement indépendant du PIB (alors que le PIB est une des variables de l’IDH) et la composante écologique sera une des quatre dimensions de ce nouvel indicateur. J’ai beaucoup travaillé à construire une cohérence idéologique globale de notre projet politique. Les trois mots « écologie-république-socialisme » qui forment le sous titre de notre logo ne fonctionnent pas comme un mille-feuilles. L’écologie n’est pas un ajout ou un chapitre du pro- gramme. Elle fournit le cadre de l’action et l’objectivation de notions cruciales comme intérêt général, communauté humaine, et ainsi de suite. Notre cadre de pensée part de l’unité de l’écosystème humain comme point de départ du raisonnement politique qui conduit à l’exigence de république et de socialisme. Les géologues eux-mêmes nous disent à présent que nous sommes passés à l’ère de l’anthropocène. Il n’y a qu’un seul écosystème humain, c’est sa biosphère. Et nous devons impérativement repenser les sociétés humaines dans leur rapport à cette biosphère qui les rend possible.
Oui, c’est une révolution personnelle, mais pas au sens du reniement du passé, au contraire. L’écologie vient renforcer mes convictions anticapitalistes et renouveler ma vision matérialiste. C’est une nouvelle manière d’aborder le monde qui nous entoure.
LS : Ne crois-tu pas que le grand enjeu pour développer une gauche écologique soit de camper non pas dans la culpabilisation des salariés et des consommateurs, mais dans la capacité de donner envie de changer le monde, bref à susciter le désir d’une autre société, celle du socialisme gourmand ? Ne faut-il pas alors que les gauches (politique et sociale) acceptent de faire une cure de dissidence ? Ne faudrait-il pas redévelopper une véritable autochtonie des milieux populaires, à l’instar de ce que fut le syndicalisme à base multiple (section syndicale, coopérative, espéranto, musique, théâtre, sport ouvrier non compétitif) ou le socialisme (ou communisme) municipal ? Ne faut-il pas faire contre-société ?
J.-L. M. : Effectivement, sortir des logiques productivistes ne consiste pas à culpabiliser individuellement les salariés et les consommateurs. Cette méthode là n’a aucune portée pratique. En fait c’est plutôt un mécanisme d’accompagnement du système. La bonne conscience écologique prend le relais dans la publicité des motivations d’achat habituelles qui s’épuisent. L’écologie culpabilisatrice, qui consiste à pointer du doigt les méchants pauvres qui polluent en prenant leur voiture pour aller bosser ou en chauffant leur logement équipé de radiateurs électriques, est totalement contre-productive et stigmatisante.
L’ancrage concret de l’écologie politique ne nous dispense pas du travail d’éducation populaire qui demande de faire comprendre le lien entre les questions qui se posent à l’humanité. Si l’on doit montrer du doigt, faisons-le à bon escient. Désignons ceux qui font problème : les multinationales capitalistes et la mondialisation libérale, les actionnaires qui font passer le profit avant l’intérêt général, la Commission européenne qui privatise le rail, les ultra riches qui roulent en 4x4 et voyagent en jet privé… Comme l’explique bien Hervé Kempf, ce sont eux les vrais responsables de la crise sociale et environnementale ! À eux de payer. C’est pourquoi nous avons organisé le débat avec lui et d’autres sur le revenu maximum autorisé, avec notre responsable du PG en charge de l’écologie, Corinne Morel-Darleux. Et aujourd’hui cette mesure figure au cœur de notre programme de partage des richesses. C’est une mesure phare du PG, à la fois sociale et écologique. Bien sûr, les expériences locales de dissidence, ce que l’on nomme les alternatives concrètes, nous intéressent.
Nous avons un secrétaire national qui a la responsabilité de nous tenir en alerte sur ces thèmes, François Longérinas. Nous voulons les favoriser. Et en particulier, nous sommes et nous serons « la Gauche par l’exemple », à tous les niveaux de responsabilité de nos élus. Voyez ceux qui agissent déjà pour le retour à la régie publique de l’eau par exemple, comme aux Lacs de l’Essonne avec Gabriel Amard. D’ailleurs historiquement, les grandes conquêtes sociales ont souvent été la généralisation de pratiques solidaires préexistantes. C’est une partie de la réponse. Mais l’autre partie de la réponse consiste à agir par la loi au niveau le plus élevé auquel peut s’exercer la souveraineté populaire. La planification écologique tirera toute sa force si elle est coordonnée au niveau national. Par exemple, la lutte contre l’agression publicitaire nécessite à la fois des règlements locaux (affichages), mais aussi une réforme nationale des médias, à l’instar des ordonnances sur la presse du Conseil National de la Résistance… Le dépassement du capitalisme et du productivisme se fera donc à la fois par en haut et par en bas, dans les institutions et dans les luttes. Mais dans les deux cas, cela passe par la restauration d’une conscience de classe et l’irruption du peuple dans la chose publique.
LS : Serais-tu d’accord pour dire que le capitalisme, c’est foncièrement trois choses : tout d’abord, un système d’exploitation, ce que la gauche sait bien dénoncer ; c’est aussi un système d’imposition de modes de vie, de produits productivistes, ceci la gauche et même l’écologie ont largement perdu la capacité de le combattre ; le capitalisme, c’est enfin une réponse à nos angoisses existentielles, refus de mourir, etc., cela, la gauche semble incapable de s’y opposer, faute d’avoir ses propres dissolvants d’angoisse existentielle à hauteur de ceux du capitalisme (le « toujours plus ») ? Ne faut-il pas apprendre à opposer la croissance en humanité à la croissance économique ? Ne crois-tu pas que l’Amérique du Sud constitue un excellent laboratoire ? Que penses-tu du mouvement pour le bien vivre et du plan Yasuni ITT ?
J.-L. M. : Je suis assez d’accord avec cette analyse du capitalisme. Toutefois, concernant le troisième point, je ne pense pas qu’il y ait une fatalité à ce que l’angoisse de la mort provoque un désir d’accumulation sans limites. Le travail entrepris depuis quelques années par mon ami Jacques Généreux montre que le productivisme est une erreur commune à nombre des courants issus de la modernité. L’enjeu n’est donc pas une mutation anthropologique des êtres humains, l’émergence d’un homme nouveau, mais à l’inverse la construction d’une société adaptée aux véritables caractéristiques anthropologiques mises en évidence par les sciences humaines depuis un siècle. On voit bien par la montée du stress, première maladie professionnelle, et des suicides au travail que les modes de vie et d’organisation du travail des sociétés capitalistes sont contraires aux invariants anthropologiques de l’humanité.
En ce sens, je suis d’accord pour dire que la finalité de notre projet n’est pas la « croissance économique », expression fourre-tout, pauvre et sèche, mais ce que vous appelez la croissance en humanité et que nous appelons le progrès humain. La recherche de croissance infinie est un contre-sens, une absurdité. D’abord parce qu’il faut admettre qu’elle ne favorise pas la répartition des richesses qu’elle est censée produire. Ensuite, parce qu’elle prospère même sur les catastrophes naturelles ou les pollutions qui alimentent le PIB. Enfin, parce que notre planète montre ses limites face au système prédateur des humains. Il nous faut d’urgence agir collectivement, avec nos chercheurs, avec les travailleurs et l’ensemble des citoyens, pour mesurer l’utilité sociale et l’impact environnemental de ce qu’on produit, vérifier comment on le produit, et évaluer nos manières de consommer. L’accumulation matérielle, loin d’être le symbole du bien vivre, est devenue celui du dumping social, des sweatshops en Asie aux mines au Niger ou en Argentine, de la destruction des écosystèmes. Il nous faut sortir de ce schéma qui a montré son échec et son pouvoir de destruction.
Dans ce domaine comme dans d’autres l’Amérique du Sud est un excellent laboratoire. Nous reprenons à notre compte la notion de « vie bonne » introduite dans plusieurs des pays latino-américains qui mettent en œuvre la révolution citoyenne et nous inspirent, que ce soit pour notre proposition d’assemblée constituante ou dans leurs combats contre l’extractivisme et la marchandisation de la nature. Quant à l’initiative Yasuni ITT de l’Équateur, nous l’avons soutenue dès le départ du parlement européen aux assemblées locales. Par exemple, nos élus à la région Rhône-Alpes viennent de faire voter un financement de 150 000 euros pour en alimenter le financement international. Dans cette démarche il y a la reconnaissance d’un intérêt général humain, d’une responsabilité commune de tous les peuples sur l’écosystème, chacun selon ses moyens et d’après ses consommations,
LS : Tu as prononcé lors du Col- loque co-organisé par Le Sarkophage et la Communauté d’agglomération les Lacs de l’Essonne présidée par Gabriel Amard un vibrant appel en faveur de la gratuité des services publics locaux. Paul Ariès explique dans le hors série du Sarkophage « Viv(r)e la gratuité » que la défense et l’extension de la sphère de la gratuité, c’est le grand combat d’aujourd’hui, que la gratuité, c’est bon socialement, c’est bon politiquement, c’est bon anthropologiquement…
J.-L. M. : On voit comment le capitalisme cherche à tout marchandiser. Il fait reculer la gratuité spontanée dans tous les domaines où elle se manifeste. L’extension de la sphère marchande à tous les domaines est spécifique à la dynamique du capitalisme. Mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue une dimension non moins fondamentale. Le capitalisme est fondé sur une forme de gratuité. En effet, l’accumulation du capital se fait à partir de la valeur fournie gratuitement par le travail. La plus-value captée par le capital, c’est du travail gratuit.
La question d’une gratuité politiquement construite associée à la réappropriation publique ou socialisée des biens communs est un enjeu fondamental. Il va dans le sens du partage des richesses et du dépassement des logiques capita- listes, bien sûr. Mais il a un impact écologiste. Car la gratuité a un résultat comportemental. Elle éteint le mécanisme du désir de consommation ostentatoire. Enfin, c’est plus conforme aux invariants anthropologiques dont nous parlions tout à l’heure. Attention toutefois à ne pas se méprendre sur le sens des mots. La gratuité n’existe pas spontanément. Les services ont un coût qui doit bien être financé par quelqu’un. Il faut donc bien comprendre que c’est un mécanisme de réappropriation sociale de la plus-value dont il est question. Comment ? Notre projet, c’est une refonte fiscale vers un système très progressif et juste, qui permette que ce soit les plus riches qui contribuent le plus à cette gratuité pour l’usager. L’autre volet consiste a taxer, en quelque sorte, le mésusage en lui faisant financer l’usage de base, celui que nous considérons comme fondamental et dont l’accès doit donc être garanti à tous. C’est le principe que nous appliquons dans notre programme aux premières tranches d’eau et d’électricité, avec une gratuité qui sera financée par une surfacturation des tranches de confort, voire d’abus. L’eau qui sert à se désaltérer ne peut pas coûter le même prix que celle qui sert à remplir sa piscine ou à laver sa voiture.
LS : Seras-tu le candidat du revenu garanti couplé à un revenu maximal autorisé ?
J.-L. M. : Le revenu garanti fait débat au sein de mon parti, comme au sein du Front de Gauche. Per- mettez-moi de ne pas anticiper les conclusions de ces débats que nous voulons mener de manière sérieuse et argumentée. Notre méthode privilégie la conviction collective parce que la mobilisation de tous dépend d’elle. Il y a chez nous des partisans d’une dotation inconditionnelle d’autonomie, ou d’un revenu universel, monétaire ou sous forme de droit de tirage sur les services publics, d’autres sont partisans du salariat à vie développé par Bernard Friot, d’autres encore s’interrogent sur la notion de revenu découplé du travail. C’est un débat riche. Sa conclusion n’est pas mûre. Nous sommes en revanche tous d’accord d’une part pour l’augmentation du SMIC et de tous les minima sociaux, et d’autre part, comme je vous le disais, pour un salaire maximum et un revenu maximal autorisé, grâce à une réforme radicale de l’impôt sur le revenu restaurant sa progressivité jusqu’à une tranche de 100 %. Cependant, la richesse n’est jamais uniquement un flux (le revenu), c’est aussi un stock (le patrimoine). Il faut donc se méfier d’une formule magique qui couplerait revenus minimums et revenus maximums et où l’écrêtement des seconds financerait les premiers. Notre partage des richesses consiste aussi d’un côté à hausser et rendre progressifs les impôts sur les patrimoines privés et d’un autre côté à assurer l’égalité d’accès aux services publics, patrimoine de ceux qui n’en ont pas.
LS : Seras-tu le candidat de la sortie programmée du nucléaire ?
J.-L. M. : Personne n'ignore les divergences à ce sujet au sein du Front de Gauche. Elles traversent d'ailleurs la plupart des organisations. Je suis issu du Parti de Gauche. Depuis sa création il y a un peu plus de deux ans, le PG se prononce pour une sortie progressive du nucléaire, contre les EPR, pour la fermeture des centrales arrivées en fin de vie, pour une transition énergétique radicale et réaliste. C'est aussi le point de vue de Gauche Unitaire et de la FASE.
Au PCF, il y a un autre point de vue favorable à un mix énergétique. Puisque les uns ne peuvent convaincre les autres à ce stade, nous nous sommes accordés sur un schéma qui nous rassemble.
Je suis donc, au-delà de mes convictions personnelles, le candidat de cette parole commune. Premièrement nous voulons sortir des énergies carbonées. Deuxième point d'accord fondamental, c'est au peuple des citoyens de trancher en matière d'énergie.
Nous nous prononçons pour un débat public suivi d'un référendum. Cela serait une grande nouveauté puisqu'en matière de nucléaire, jamais rien n'a été soumis au vote, pas même de l'assemblée nationale. Je note qu'aujourd'hui seuls le PS, l'UMP et le FN s'opposent à cette idée de référendum sur le nucléaire alors que le Front de Gauche et les Verts en sont partisans.
Je crois que cette position permet de faire un bond sur cette question fondamentale. Reste que rien ne sera possible en matière de transition énergétique sans planification écologique et démocratique et sans sortir l'énergie des logiques marchandes.
LS : Paul Ariès ne cesse de dire que quelque chose est en train de naître, qu’un nouveau langage émerge, capable de porter un nouveau mouvement vers l’émancipation, qu’il s’agisse du « sumak kawsay » des peuples indigènes en Amérique du sud, du « buen vivir » des gouvernements équatoriens ou bolivariens, du renouveau de la notion d’eudémonia (vie bonne) en Grèce, de la réécriture du programme du CNR (« les jours heureux ») sous le titre « Les Nouveaux jours heureux » par les citoyens-résistants, des notions de convivialisme, de sobriété joyeuse… Seras-tu le candidat de ce renouveau ?
J.-L. M. : La question du bien-être est subversive. Elle revient à demander le droit au bonheur. Le capitalisme ne s’accommode pas d’interrogations sur les finalités humaines. Il est à lui seul son objectif. L’accumulation ne peut être infinie, et pourtant tout se passe comme si elle pouvait l’être et le devrait. Et puis toute la mécanique idéologique destinée à construire dans les têtes du consentement à l’ordre établi a modifié son registre. Hier il s’agissait de distiller une foi aveuglée dans des lendemains qui chantent. A présent c’est la peur du lendemain qui enchaîne la confiance en soi et la volonté d’améliorer son sort. Dans les angoisses qui nourrissent le capitalisme, il n’y a plus seulement la peur de la mort, plus seulement la frustration permanente fabriquée par le système, mais, pour un nombre croissant de nos concitoyens, la peur du lendemain, la fragilité de leur situation sociale. Le capitalisme domestique les esprits en précarisant. Face à cela, je serai le candidat de l’abolition du précariat.
LS :Ta campagne est sous le signe du slogan « Mélenchon présidons ! »… Es-tu prêt à faire une place aux thèses de l’antiproductivisme, de l’objection de croissance ? Es-tu prêt à ouvrir tes meetings à des amoureux du « buen vivir » ?
J.-L. M. : Ce slogan « Présidons » était une boutade ! Je voulais m’épargner le ridicule de la personnalisation grotesque de cette élection. Finalement l’expression a été reprise et elle est restée. Cela m’amuse, et en même temps m’interpelle. Je crois que ça correspond bien à un rejet répandu de la présidentialisation et de la dérive monarchique de la Ve République dont nous voulons sortir. Le premier acte du prochain président de la République élu devrait être de remettre son pouvoir aux mains du peuple souverain. C’est notre proposition de VIe République parlementaire et de Constituante. C’est la raison pour laquelle nous voulons également lier fortement la présidentielle avec les législatives. Cette double campagne sera collective, populaire et citoyenne. Nous envisageons aussi un groupe de porte-parole qui traduise la diversité du Front de Gauche et de ses partenaires.
Il y aura donc nombre d’oratrices et d’orateurs à nos meetings… Au niveau local, cet élargissement peut prendre la forme d’Assemblées citoyennes du Front de Gauche. Tout est à inventer, n’ayons pas peur de bousculer les traditions électorales ! Les bases de cette ouverture seront le partage de nos grandes orientations, celles que j’avais commencées à esquisser dans mon livre Qu’ils s’en aillent tous. Celles qui dorénavant sont proposées par le programme partagé. Nous avons bien travaillé pour la première étape de la démarche. Les débats au sein du Front de gauche et avec les citoyens, syndicalistes, associatifs, chercheurs, et intellectuels dans nos forums ont bien fonctionné. Les grands thèmes sont bien dégagés : VIe République, partage des richesses, planification écologique, sortie du carcan du Traité de Lisbonne, et une politique internationale de paix, à commencer par le retrait de nos troupes d’Afghanistan et de l’OTAN impérialiste.
LS : Ne crois-tu pas qu’il faille aussi changer nos façons de faire de la politique ? Si nous combattons pour ce que nous nommons un « socialisme gourmand » par opposition au socialisme du nécessaire, ne faut-il pas aussi repenser nos façons de militer ? Les objecteurs de croissance et les amoureux du bien vivre, de la vie bonne ont-ils leur place non seulement au sein du Front de gauche, mais aussi du Parti de Gauche, ou plus exactement quelle place penses-tu qu’ils devraient pouvoir y prendre ? Peut-on imaginer une association d’OC soignant leur gauche fédérée au Parti de Gauche ?
J.-L. M. : Il n’y aura pas de changement sans implication du plus grand nombre, et sans remise en cause de nos anciens modèles. Je l’ai déjà dit, l’objection de croissance, même si ce n’est pas ma tradition politique, m’intéresse parce qu’elle renouvelle la politique et nos schémas de pensée. Elle bouscule et pose les questions qui obligent à passer du péremptoire à l’argumenté. Il y a déjà beaucoup d’objecteurs de croissance au PG, et ça se sent.
D’ailleurs, je crois dans nos propositions en matière d’écologie radicale. Moi, l’ancien béton-électricité, je les ai vus arriver avec intérêt, je les ai appelés à nous rejoindre dès le lancement du PG car je crois à la dynamique de cette diversité, à cette confrontation positive et créatrice du parti creuset. La suite, je dois le dire, m’a donné raison. Si d’autres, qui se retrouvent dans notre stratégie unitaire d’une gauche de rupture et de reconquête du pouvoir, si ceux-là partagent les grands objectifs que je viens d’énumérer et souhaitent contribuer, bienvenue ! Ils ont toute leur place au sein du Front de Gauche. Mais ils devront convaincre. Comme tous les autres. Je vous l’ai dit, le Parti de Gauche est un parti creuset qui essaie de tirer le meilleur de traditions différentes. Nous sommes attachés à ce que cette démarche inclusive soit aussi celle du Front de Gauche. ■
Tags : gauche, c’est, bien, d’un, capitalisme
-
Commentaires