• Le vote utile a favorisé l'extrême-droite

    Je résume les traits essentiels de mon regard sur notre résultat. Avec 11,1 % ce sont 4 millions de voix qui ont été rassemblées.

      C’est davantage que trois millions de voix supplémentaires par rapport aux européennes de 2009 où nous avons été candidats pour la première fois sur tout le territoire et dans une élection à contenu politique général. Cette percée représente les deux tiers de la progression du total des voix de gauche par rapport à 2007 qui passe ainsi de 36 à 44 % des suffrages ! De la sorte nait aussi un nouveau paysage à gauche. Car pour la première fois depuis trente ans, les deux candidats de gauche ont un score à deux chiffres. Et l’autre gauche, la notre, représente 30 % de la gauche là où elle n’en représentait que 15 % en 2007. Le Front de Gauche est à la fois une force de haut niveau, et une réalité correctement répartie sur l’ensemble du territoire. Je précise ce point pour montrer qu’il s’agit bien d’une force nouvelle et d’une réalité nouvelle. Au contraire des allégations selon lesquelles le Front de gauche serait une simple amplification du vote dans les bastions communistes. Si ce phénomène joue sans aucun doute, il est non moins vrai que sa diffusion à tout le territoire montre une homogénéisation qui signale un fait nouveau. Tous les départements recueillent plus de 7 % des voix ! 70 départements dépassent les 10 %. Et, fait remarquable, 20 départements sont au-dessus de 13 %. L’analyse des localisations géographiques des votes, qui fait fureur en ce moment pour décrire les scores du Front National, ne semble pas devoir être appliquée au Front de Gauche. Pourtant la percée dans les villes est un fait notable des résultats. Je vous propose pour en juger, la liste des dix-sept villes de notre pays qui comptent plus de 150 000 habitants. Les cinq premières sont spectaculaires. Toulouse 15,9 %, Montpellier 15,7 %, Lille 15,4 %, Grenoble 15,4 %, Le Havre 16,5 %. Mais les suivantes sont tout aussi remarquables pour nous, compte tenu des décalages entre bureaux de vote populaire et bourgeois. Ainsi quand nous faisons à Marseille un 13,4 % des voix, cela inclus que nous dépassons les 20 % dans plusieurs bureaux névralgiques. De même à Rennes 13,4 %, Saint Etienne 13,3 %, Nantes 12,4 %, Bordeaux 12,1 %, Lyon 11,8 %, Paris 11,09 %. Dans les villes plus habituées aux votes traditionnels et même très droitiers, parmi ces dix-sept les scores sont forts, là aussi. Ainsi à Reims 10,7 %, Dijon 10,4 %. La performance est soulignée quand on voit un  9,5 % à Toulon, et un 9,2 % à Nice. Mais, surtout, avec 11,4% à Strasbourg, le Front de gauche gagne son bâton de maréchal du combat politique. Ce résultat est en effet acquis par un vote d’adhésion d’autant plus clair et net qu’il avait un contenu anti raciste et anti concordataire sans ambiguïté. Et cela alors même que l’argumentation adverse avait été d’une terrible force. Et qu’avait été savamment entretenue par la droite comme par les socialistes la confusion entre notre rejet du concordat et celui du droit local. Une remarque enfin sur un fait qui passe tout le temps sous silence. Dans ces dix-sept villes le Front national est en recul par rapport à 2002. Et nous lui passons devant dans treize cas !

    J’ai lu que trente pour cent des électeurs de François Hollande ont hésité à voter Front de gauche. Cela représente neuf points dans le résultat final. Un simple jeu d’addition et de soustraction permet de voir que dans ces conditions la question se serait posée de savoir lequel de nous deux aurait été au second tour. On comprend mieux alors le sens de la convergence entre l’extrême droite et les organes de presse socialistes pour nous calomnier sans relâche, mais surtout dans les dix jours avant le premier tour avec des arguments identiques. Et depuis cette date pour nier jusqu’à notre existence. On retrouve d’ailleurs leurs argumentaires dans la bouche de Nicolas Sarkozy : Cuba, Robespierre et ainsi de suite… Ainsi va la propagande. On notera avec dégout la pratique de ces valeureux journalistes qui laissent Nicolas Sarkozy m’attribuer des propos que je n’ai jamais tenus sur les riches ou sur Cuba. Certes, nous savons ce que valent de tels hérauts de la liberté de parole ! Mais pas le grand public. Certes cette profession est considérée à juste titre comme plus manipulatrice et menteuse que les responsables politiques eux-mêmes. Ce n’est pas peu dire. Mais la dangerosité de son action n’en est pas moins grande. C’est elle qui installe le tableau de fond des raisonnements. A présent avec les « graphes », les sondages, et les cartographies, les préjugés de cette caste et sa mise en scène de la pensée dominante se présentent comme des vérités « objectives » puisque chiffrées et présentées comme des faits. Ce qu’ils ne sont jamais. Des records sont battus quand des éditorialistes sans foi ni loi assènent des affirmations où sont cités dans un même souffle, sur une même ligne des sondages et des résultats électoraux.

    En disant tout cela, je n’exprime pas une humeur. Ni même une généralité qui ne tiendrait pas compte des nuances et même des divergences dans les rédactions de ces médias. Au contraire. Je sais que ces nuances et divergences existent ! Et c’est bien pourquoi je maintiens la pression ! Car elle pousse chacun à réfléchir et à se positionner en conscience et ce d’autant plus profondément que la polémique est vive et contraignante. Si 19 % des voix de ceux du « Nouvel Observateur » se sont portés sur moi et davantage à « Libération », ce n’est pas « malgré » mes raisonnements sur les médias mais aussi à cause d’eux. La volonté de résistance est forte aussi à l’intérieur des médias face aux conditions sociales qui font « moutonniser » les rédactions. Partout s’exprime, souvent en cachette et dans la peur de la répression, le refus d’une presse qui se laisse continuellement emporter par toutes les modes. La soumission à l’idéologie dominante n’est acquise nulle part. L’extension de cette résistance, son organisation, sa capacité d’action sont un des enjeux cruciaux du moment. La révolution citoyenne doit passer dans les médias. C’est un impératif. Je le dis au contraire de tous ceux qui considèrent que la cause étant entendue, ce serait perdre son temps et son énergie que d’en parler. Cela n’est pas possible car l’accès à une information de qualité, exempte de manipulations et de volonté de nuire est un enjeu de démocratie. Je le dis après avoir reçu assez de messages de résistance de l’intérieur des médias d’une part et d’autre part venant de l’extérieur, assez de demandes d’explications sur les calomnies qu’ils déversaient pour savoir quel enjeu c’est là. Ce système doit être détruit. Du moins son influence sur notre camp. Et pour cela, il faut frapper sans relâche comme lui-même le fait sur nous sans pause ni trêve. Ce n’est pas un à côté de notre stratégie de combat mais au contraire un élément de pointe. La mise en cause du contenu, de la fiabilité et de l’honorabilité des médias est au cœur de notre bataille culturelle, selon moi. Et cela jusqu’à ce que le système s’effondre où qu’un compromis honorable soit trouvé qui respecte notre identité et ne permette plus qu’elle soit instrumentalisée.

    J’en reviens au niveau de ceux qui ont changé d’avis et de bulletin de vote en dernière minute. D’abord par « peur du 21 avril », cette rente de soumission dont les socialistes pourtant responsables du désastre du 21 avril tirent dorénavant argument pour regrouper un troupeau électoral affolé à dessein. Ou bien parce qu’ils ont cru à la sottise de « placer nettement en tête » le candidat « le mieux placé dans les sondages ». Naturellement tout cela est de très bas niveau politique. Les campagnes de calomnies du « Nouvel Observateur » et les tirs dans le dos de « Libération » ont joué leur rôle dans cet anéantissement du raisonnement politique. Certes cela ne touche que les moins réfléchis des électeurs socialistes, les plus pusillanimes et les moins éduqués politiquement, les plus drogués par les raisonnements enfantins de leur parti de référence. Mais cette faiblesse, l’efficacité de ce chantage permanent, est la clef du système de domination idéologique de l’état-major de ce parti. On ne la combattra pas par des invectives, cela va de soi. Mais il faut la combattre. Comment ? Je crois qu’il faut partir du raisonnement que se tiennent ceux qui s’abandonnent de cette façon.

    Que voulaient-ils, ces électeurs « utiles » ? Se prémunir du Front National. Qu’ont-ils obtenu ? Le contraire ! C’est un fait. Comme le Front de gauche n’est pas en tête devant le Marine Le Pen, le rouleau compresseur s’est remis en route avec le but de nous achever. C’est notre « échec » qui est mis en scène sur tous les tons. Autre façon de nier notre résultat. Et de nous nier tout simplement. Non pas nos personnes, mais notre programme c’est-à-dire tout ce que nous avons porté et qui nous a valu de rassembler quatre millions de voix. L’autre versant de la manœuvre est d’assigner de nouveau le peuple aux Le Pen. Un bon exemple de cette boucle qui part de mensonges hallucinogène pour finir dans de prétendues démonstrations est l’action sur ce plan du journal « Le Monde ». Il a commencé, on s’en souvient, par publier des sondages truqués sur l’influence du Front national dans la jeunesse. Il finit le cycle par un éditorial de jubilation de Françoise Fressoz, pétaradante d’allégresse de pouvoir constater que le peuple est « lepéniste » et pas « d’extrême gauche » comme nous sommes censés l’être. Bonjour la démonstration à l’origine de ce « constat ». D’où tire-t-elle ce droit au déni ? Tel est le bilan du « vote utile ». Une carte blanche donnée aux ennemis de l’idée d’un peuple que souderaient ses revendications sociales. Le bon bourgeois et son plumitif peuvent décliner leurs couplets sur le « cri de colère », la « souffrance sociale » du malheureux lepéniste égaré par la douleur et donc incapable de se rendre compte qu’il soutient des racistes ! C’est le moyen de le réconforter avec des médicaments si agréables à administrer depuis les beaux quartiers : un bol de haine des arabes et des musulmans.

    C’est donc derrière les Le Pen que court la presse, en toute bonne conscience. Le vote utile lui en a donné l’autorisation. Au lieu d’interviewer des ouvriers qui veulent voir leurs salaires augmenter, les mouches médiatiques interrogent des ouvriers qui n’aiment pas les arabes. Au lieu de parler du salaire maximum de un à vingt on parle de la « présomption de légitime défense », et ainsi de suite. Et que fait le héros socialiste face à cette déferlante ? Peu nous importe à vrai dire pour ce qui concerne notre vote puisque nous ne votons pas pour lui mais contre l’autre. Cependant si nous avions été à sa place nous aurions organisé une réplique massive, frontale, pour contrer le venin. Nous jouerions le bras de fer sur le premier mai, car c’est sur ce terrain que nous pouvons avoir le meilleur rapport de force pour remettre au centre de toute la question sociale. Lui semble se laisser balloter. Electoralement, cela semble payant. Le rejet de Sarkozy atteint des sommets ces jours ci à mesure qu’il déploie les arpèges de ses imitations de l’extrême droite. Mais les dégâts faits par le poison qui est instillé dans toute la population sont terribles. Pour la première fois depuis toujours le président en exercice a validé une bonne demi-douzaine de poncifs lepéniste parmi les plus ridicules. Dont celui des prétendus déficits sociaux liés à l’immigration, du lien entre chômage et immigration et ainsi de suite. Le dernier en date est parmi les plus absurdes comme cette « présomption de légitime défense des policiers ». Stupidité d’abord pour la sécurité des policiers eux-mêmes. Car c’est une façon de dire aux malfrats « tirez les premiers ! ». Non-sens juridique ensuite puisque la présomption d’innocence est aujourd’hui valable pour tout inculpé. Ainsi va la loi, quand elle est décidée à l’emporte-pièce et dans l’émotion d’un instant médiatique. Quoiqu’il en soit, courir derrière les balles jetées par Nicolas Sarkozy dans le jeu de quille de l’entre-deux tours se paierait par de la perplexité plus qu’agacée, parmi nos quatre millions d’électeurs. Déjà ignorés superbement, niés par la presse, seraient-ils considérés comme acquis d’avance ? C’est vrai en très grande partie. Puisqu’ils regardent plus haut que l’horizon et se servent du bulletin Hollande dans le seul but de sortir Sarkozy. Mais on aurait tort d’abuser de ce genre de certitude. Les astuces de langage d’Arnaud Montebourg sur un soit disant « consensus entre le FN, l’UMP et le PS sur l’immigration clandestine » exaspèrent sans rien démontrer d’autre qu’un noir opportunisme. J’invite les socialistes à l’esprit de résistance et de contre-attaque frontale plutôt qu’aux atermoiements et à l’esprit de défense poussive que je leur vois prendre. J’ai résumé ma formule pour mettre un terme aux délires xénophobes et au soit disant « devoir d’écoute » à l’égard des électeurs du Front national. Il n’y a rien à écouter de toutes leur sottises. Car il n’y a pas davantage de problème aujourd’hui avec les musulmans qu’hier avec les juifs. Tous ces délires n’ont aucune consistance. Ce sont des constructions mentales pourries injectées dans le cerveau des plus faibles mentalement. Valider l’injection de ces bêtises ne rend service qu’à ceux qui en ont fait leur fond de commerce.

    le blog de Jean-Luc Mélenchon


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