• Les Primaires contre la Gauche

    Alors que le PS s'engage dans l'aventure des primaires, Jean-Luc Mélenchon montre les dangers pour la gauche dans ce texte extrait de son livre l'autre gauche paru en septembre 2009.Il est pitoyable que la rentrée de la gauche politique se soit faite sur un sujet aussi éloigné de toutes les réalités qu’affrontent le pays et notre peuple. Il est frappant de voir que celui qui passe pour en être l’ingénieux artisan est depuis peu en même temps membre du comité Juppé-Rocard chargé par Nicolas Sarkozy de faire des propositions concernant l’usage à faire du grand emprunt qu’il a décidé de lancer et dont les conséquences seront autrement concrètes que le mécano électoral dont toute la gauche a été sommée de débattre. Il est également frappant de voir que la pression pour cette trouvaille est orchestrée conjointement par des personnalités du Centre et des socialistes, des banquiers d’active et des syndicalistes à la retraite, tous autoproclamés précieux dépositaires de l’avenir de la gauche.  L’injonction éditoriale sur le sujet a été d’une telle violence qu’elle a emporté toutes les résistances pourtant argumentées que contenait le parti socialiste peu de temps auparavant encore. Je ne crois pas cependant qu’il faille voir ce mécano comme une simple combinaison technique pour « rénover » le système de désignation des candidats de gauche aux élections. Selon moi, on ne peut pas dissocier l’instauration des primaires à gauche du projet politique que visent ceux qui ont poussé cette idée. Il ne manque pas d’esprits avisés qui savent à quel point ce système des primaires induit tout un large ensemble de conséquences. Il n’en n’est pourtant pas débattu. La scène politique semble subjuguée davantage que convaincue. Mais a la vérité, je ne crois pas que cette idée puisse s’imposer autrement que par cette sorte de passage en force tant elle bouscule jusqu’au fondement l’édifice sur lequel est construite la gauche. Il aura peut-être raison de la gauche elle-même. Je veux rappeler que ce ne sera pas la première fois.


    Les mauvais exemples américains et italiens
    Je signale que les innombrables références au système américain  s’accompagnent toutes d’un voile d’ignorance volontaire très troublant. Aux États-Unis le système des primaires commence par la marginalisation des partis de gauche. Mais combien savent qu’il n’y a pas que deux candidats aux USA. Tous les autres sont effacés du tableau du fait même des primaires. À commencer par le candidat socialiste. Ces primaires fonctionnent de plus comme l’antichambre obligée où se bousculent tous les lobbies, carnet de chèques en main. Ils se remboursent ensuite sur la bête victorieuse, corrompant en profondeur l’esprit public nord américain et davantage encore celui de ses élites dirigeantes. Bonjour la modernité ! Un exemple plus proche peut-être également plus facilement analysé. C’est celui de l’Italie. Un concentré de désastre. Les primaires ont conduit à la fois à la liquidation de la gauche, dissoute dans un « parti démocrate » récusant l’étiquette de gauche, et à la plus lamentable défaite électorale de la gauche contre Berlusconi. Pour ne dire que cela. Pourquoi en irait-il autrement en France ? Déjà bien des analystes ont largement démontré que les primaires invalident l’existence même d’une structure de Parti. À quoi bon en effet un parti quand un club d’affidés et un bon budget de communication suffisent pour mener la partie décisive. Au contraire, un parti,  avec ses rythmes lents de décisions, ses structures collectives, ses obligations de  mémoire, ses liens aux syndicats et associations, est un handicap majeur pour mener la guerre de guérilla médiatique, la course aux effets émotifs et tout ce qui va avec l’ultrapersonnalisation de la politique qu’implique une primaire. Je n’en évoque pas davantage à ce propos parce que le cœur de mon raisonnement à cet instant vise seulement à montrer comment le moyen choisi pour régler les problèmes que ce système prétend affronter les aggrave au contraire.

    Le règne de l’égocratie
    Voyons cela. On entend dire par exemple que les primaires seront le moyen de surmonter les conflits de personnes qui minent les états -majors politiques. Ce sera le contraire. Il les envenimera. L’égocratie va en effet se déployer sans retenue. Chacun devra en effet se rendre « intéressant » pour capter de la sympathie et de l’appétit médiatique. Plus intéressant et appétissant que le voisin. Dès lors la défaite équivaudra à une disqualification personnelle plus offensante et meurtrissante que ne le sera jamais aucune défaite des idées ou du programme qu’un candidat peut porter. La pipolisation pourtant battra son plein quoi que veuillent les protagonistes. Elle sera une arme de combat. Qu’on se souvienne des conditions et des mots avec lesquels Ségolène Royal annonça en plein milieu de la soirée électorale des législatives de 2007 sa décision de divorcer d’avec François Hollande. Cette pente sera amplifiée par l’environnement idéologique que construit ce type de consultation. Cela d’abord parce que les contenus politiques iront au rabais. En effet , dans cette sorte de compétition celui qui l’emporte est celui qui provoque le moins de rejet. Le devoir de chacun des candidats sera donc de rogner soigneusement toute aspérité du propos qui lui aliène un secteur de l’opinion. Dès lors l’idéologie dominante a de beaux jours devant elle. La pipolisation et la dépolitisation iront de concert comme c’est la règle en la matière.

    La course au moins disant politique
    Machine à égotiser, le système des primaires est de ce fait en même temps une machine à niveler. Mécaniquement le centre de gravité d’une telle compétition se déplace vers le moins disant, le plus central c'est-à-dire le plus centriste. La norme de sélection fonctionne à l’inverse de la compétition qu’elle est censée préparer. Car, le moment venu, dans la campagne électorale, face au candidat de  droite ce n’est plus le moins disant le mieux placé. C’est au contraire la candidature ouvrant le plus de propositions offensives qui concentre l’attention, crée le débat et fait le succès. On voudra bien se souvenir en effet que les victoires électorales de la gauche, celles de François Mitterrand en 1981, comme celle de Lionel Jospin en 1997 se sont faites avec des programmes clivant et non sur des propositions consensuelles. De plus, l’un contre la peine de mort, en plus du programme commun avec les communistes et l’autre avec les trente-cinq heures ajoutèrent des angles aux angles. Ici se touche un point essentiel. Une élection ne se réduit pas au marketing qui l’anime. Ce sont les programmes d’une part et la volonté de les accomplir des personnes qui les portent qui, en définitive, mettent en mouvement le grand nombre d’un côté ou de l’autre. Je parle là de l’élection, la vraie. Car à l’occasion des primaires il en va tout autrement. Là, les votants sont abusés par la proximité idéologique des candidats. Tous sont censés être de gauche, je le rappelle. Leurs positions communes sont alors nombreuses. Les électeurs des primaires se disent alors que le vainqueur aura la sagesse de faire son miel de tout ce qui aura été dit et qui aura plu. Du coup les braves gens concluent qu’ils doivent choisir la personne qui a le plus de chance de l’emporter dans les urnes contre la droite. Comment peuvent-ils savoir duquel il s’agit ? C’est bien leur problème. Ils s’en réfèrent donc à ce que leur dit une autorité qui semble supérieure à tout a priori et à toute idéologie. C'est-à-dire l’opinion majoritaire des électeurs en général. C’est l’effet Panurge appliqué avec bonne volonté et assumé comme tel. Les participants aux primaires suivent donc le verdict des sondages. On se souvient du harcèlement sondagier qui accabla ainsi les socialistes dans la primaire que remporta Ségolène Royal. Elle était alors donnée gagnante contre Sarkozy avec 53 % des voix contre 47% au candidat de droite. Notons que le résultat final fut exactement l’inverse.

    Une machine à diviser la gauche
    Cet effet de nivellement n’empêchera pas pour autant un autre renversement de la dynamique électorale entre le processus des primaires et celui des élections elles-mêmes. Dans l’élection, quand plusieurs candidats sont présents à gauche, ils sont en compétition implicite. Mais leur discours est positionné contre la droite davantage que les uns contre les autres. Ceux qui se risquent à du démolissage dans leur camp, comme toute transgression de celui-ci en général, le paient souvent très cher. Ainsi Jean-Pierre Chevènement passa-t-il en 2002 de 14% des intentions de vote à 5% en quelques jours pour prix de son harcèlement contre celui qu’il appelait « chirospin » et pour s’être rapproché de l’extrême droite villièriste.

    L’outil du glissement au centre
    Après ce tour d’horizon général j’en viens à quelques remarques à propos de la dynamique d’une élection. Si cette primaire est proposée à toute la gauche c’est un tableau singulier qui est mis en place. Passons sur le fait qu’il aurait été de meilleure pratique de consulter les partenaires avant de les mettre au pied du mur. Voyons plutôt le présupposé de l’affaire. Il y en a un. De taille. C’est que le candidat issu des primaires doit ensuite gagner l’élection dès le premier tour. Car pour le second tour il ne dispose plus de réserve de voix puisque toute la gauche est censée avoir été mobilisée et s’être déjà regroupée sur son nom. Comment peut-on imaginer cela ? Ce n’est pas possible. Alors ? La réponse est évidente. Le deuxième tour ne peut alors être gagnant qu’avec une nouvelle alliance. Du coup le premier tour de l’élection présidentielle se transforme en réalité en une primaire avec les centristes. Celui des deux qui arrive en tête s’accorde avec le suivant « contre la droite ». Démontrez le contraire !
    Ainsi de toutes les façons et par tous les bouts, tant sur la forme, le contenu et la dynamique électorale, le système des primaires est une machine à se donner des claques. Elle égotise, pipolise, nivèle et divise la gauche au profit d’un glissement centriste. Et celui-ci pour finir est incapable de répondre aux attentes actuelles d’une société mise en tension par la crise et en demande de changements sociaux et écologiques radicaux dans la vie diminuée que mène le commun  des mortels.
     


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