"Les grands hommes, nous le savons, n'inventent pas l'idéal, ils le découvrent. Il est toujours présent à l'intérieur du réel et il s'agit seulement de l'y surpendre, enfoui sous des décombres.

C'est cette activité de l'ultérieur au sein même de l'antérieur qui rend celui-ci instable, tourmenté, malade. Les hommes qui vivent en cette période de désagrégation en éprouvent sympathiquement l'inquiétude, ils devinent le négatif qui la corrode, et ils désirent autre chose que ce présent taré, mais sans parvenir à préciser leur souhait.

Les grandes individualités de l'histoire pressentent l'universel supérieur qui est en train de dévorer l'universel suranné. Les grands hommes reconnaissent, sous les apparences, la vérité de leur monde en marche, ils l'assument :

 Ils savent quelle est la vérité de leur monde, de leur temps, ce qu'est le concept, l'universel qui va surgir prochainement, et les autres, comme nous l'avons dit, se rassemblent autour de leur bannière, parce qu'ils expriment ce dont le moment est venu.  (Hegel, Die Vernunft)

Leur tâche consiste à procurer au monde une conscience plus claire de la situation dans laquelle il se trouve à un moment donné : « La situation du monde n'est pas encore consciente; le but est de l'amener au jour». Leur opération fait apparaître l'aspect affirmatif de cette négativité qui ébranle le présent."

Hegel, philosophe de l'histoire vivante par Jacques D'HONDT (1920-2012), Presses universitaires de France, 1966