• Politique d'austérité et approfondissement de la récession économique

    La politique d’austérité qui vient d’être décrétée par François Fillon, étrangle le budget de l’État et des collectivités territoriales. C’est un contresens dramatique. Elle ne peut avoir d’autre résultat que d’approfondir la récession économique qui approchait déjà. Les déficits se creuseront donc. Ce sera le prétexte pour de nouvelles amputations des services publics et de l’État. Dans l’immédiat elle va déjà creuser les inégalités entre ceux dont le quotidien dépend des services publics et ceux qui peuvent s’en passer. La méthode de financement de ce plan est à l’image de ses conséquences. Injuste et inégalitaire. Ainsi sur onze milliards de coupes claires qui deviennent définitives, les riches ne donneront que moins de 10 % ! Et encore à titre provisoire, « exceptionnel » dit François Fillon. Les riches ne paient que pour un temps. Et les autres pour toujours. Rien n’est demandé aux banques en dépit des superprofits de près de 21 milliards réalisés l’an passé. Rien n’est demandé aux grands groupes du CAC 40 ! Même à titre « exceptionnel »,  on aurait pu faire mettre la main à la poche à Total qui n’a pas donné un euro au pays l’an passé !  Pour ne citer que cet exemple !

    En réalité, sous prétexte de dépassement d’un prétendu « seuil de tolérance » sur la dette, la France renonce à sa souveraineté face aux marchés financiers. Quelle  pitié d’entendre Fillon se promettre de « mériter la confiance des marchés et des investisseurs » ! Quelle soumission ! Sous le nom de « règle d’or » nous sommes en réalité victime du coup d’État financier organisé dans tous les pays de l’Union européenne par les libéraux. Après quoi il est écœurant d’entendre les dirigeants socialistes faire assaut d’une rigueur de meilleure qualité, en quelque sorte, que celle de la droite. Résultat : le PS ne veut pas voter la règle d'or de Sarkozy, mais il veut l'appliquer. Lors de son BN du mardi 23 août le PS a adopté à l'unanimité, vous avez bien lu, de Hamon à Valls inclus, un communiqué réclamant "un profond changement de politique budgétaire et fiscale". Très bien. Ambigu à souhait. Mais la suite ne l’est plus du tout sur le sens du message même s’il est emballé dans du papier d’euphémisation. En effet le Parti socialiste exprime son refus « d'une prétendue règle d'or ». Trop dure ? Trop injuste ? Non. Pas du tout.  Seulement parce qu’elle « ne règle rien pour réduire aujourd'hui les déficits puisqu'elle ne s'applique pas au gouvernement actuel, et qui ne porte aucune solution pour l'avenir tant elle est facile à contourner ». Autrement dit le PS ne condamne pas le principe de la « règle d'or » mais le fait qu'elle ne s'applique pas tout de suite et qu'elle ne soit pas assez stricte ! » Lamentable. Les amis du « vote utile » vont se régaler. L’austérité utile ? Votez Papandréou !

    Pendant ce temps le martyre de la Grèce s’approfondit. Il illustre l’absurdité des remèdes qui sont infligés à ce malheureux pays. Et il prouve, s’il était besoin, quel danger représente l’application de ces mêmes remèdes aux autres pays. Ou en est-on ? Le déficit de l’Etat grec a encore augmenté. Pourquoi ? Parce que la politique d’austérité a provoqué un recul de l’activité économique. Un recul plus sévère que celui prévu. Si la Grèce avait été envahie et en partie détruite cela ne serait pas pire. Le recul de l’activité, tel que prévu était de 3,8 %. Il sera supérieur à 5 %. Donc les rentrées fiscales ne sont pas au niveau attendu. Voyez : le gouvernement a réduit les dépenses de 992 millions d’euros. Mais les intérêts à verser aux banques ont augmenté de leur côté de 1,3 milliard d’euro. Ce cercle vicieux peut-il s’inverser et quand ? Non, il ne le peut pas. Il n’y a aucun horizon d’amélioration possible. La Grèce est passée d’une dette à 125 % de son PIB à une dette de 160% grâce à sept plans d’austérité !

    Au cours de l’été le journal « Le monde » a présenté une analyse montrant que, même en une génération, les Grecs ne pourraient revenir à l’équilibre budgétaire. La démonstration était sévère. En supposant que le budget grec produise un excédent de 6% avant le paiement des intérêts de la dette et cela pendant dix ans, le niveau d’endettement ne serait que stabilisé. Vous avez bien lu. Tout ce que font les Grecs ne sert absolument à rien, ni pour eux ni pour leur pays, ni pour leur futur. Ce que font les Grecs sert juste à permettre que les titres de dette qui sont dans les coffres des banques soient réputés avoir la valeur écrite dessus. Les Grecs souffrent pour garder des joues bien rouges aux bilans des banques. Le plus odieux est que du fait ces taux d’intérêts que la Grèce a du accepter, elle va rembourser plusieurs fois le capital dont elle avait besoin au départ. Elle a demandé de l’aide parce qu’il lui manquait cent. Et du fait de l’aide qui lui est apporté, il lui manque un multiple de ces cent du début. Ceux qui se souviennent de ce dessin animé reconnaitront là l’œuvre des Shadocks. Naturellement tout cela ne tiendra pas. Il n’y a pas de peuple qui puisse accepter de n’avoir aucun horizon d’amélioration de son sort. Sauf sous une dictature. Pour l’instant la contrainte et l’injonction d’obéir sans discuter est maximale. Papandréou se charge de la répercuter sur le terrain. Mais le moment venu cela ne suffira pas. Le peuple s’en mêlera de façon bien plus ample qu’à présent. Qu’il bloque les plans d’austérité et s’écrouleront dans le sillage les banques et les compagnies d’assurance européennes et mondiales qui sont engagées sur cette dette.

    Et que fait la banque centrale européenne pendant ce temps ?  Pour ralentir l’incendie, elle achète des titres de dettes « souveraines » sur le second marché. C’est à dire qu’elle soulage les banques de leurs papiers douteux en le payant plein pot au prix où ces banques l’ont libellé en prenant les gouvernements à la gorge. On apprend que le montant de ces achats s’élève à présent à cent milliards d’euros. C'est-à-dire autant que le montant dont aurait besoin la Grèce pour purger la totalité de ses dettes.  Démonstration par l’absurde de la valeur de notre solution. Si la BCE avait prêté dès le début, comme nous ne cessons de le dire, cette somme à la Grèce au taux de 1%, comme elle prête aux banques, elle aurait éteint la spéculation. Mais elle aurait aussi dans son coffre du papier de dette solide au lieu du papier pourri qu’elle achète en ce moment. Elle n’aurait donc pas besoin de courir acheter des titres de dettes italienne ou espagnole pour obtenir que le niveau du taux des prêts à ces pays veuille bien baisser un peu et que ces deux pays ne sombrent pas à leur tour.

    Pendant que cette mule de Trichet applique cette politique de gribouille et cajole les banques, la banque fédérale américaine procède tout autrement. Elle achète directement au trésor américain ses titres d’emprunt. 1550 milliards lors du choc de 2008, et 850 milliards en 2010. Et pourtant les Etats Unis sont déjà endettés à mort. Et ils ont mis en circulation une masse de dollars qui a donné des crampes à la planche à billet. Au point qu’ils ne publient plus aucune indication sur cette masse monétaire depuis 2006. Voyons le résultat. Quel est le taux d’intérêt payé pour les titres de dette des USA sur dix ans ? Le plus bas depuis 10 ans. Même pas 2 % ! Voila ce que valent tous les grands discours terrifiant sur la dette selon lesquels sa gestion relèverait des lois de la nature, de la compatibilité pure et parfaite et tutti quanti ! Le pays le plus endetté du monde, dont la dette publique et la dette privée cumulée représente 350 % de son PIB annuel (dix points de plus qu’en 1929) paye les taux d’intérêts les plus bas du monde pour sa dette.  Fermez le ban. Pendant ce temps, la première puissance mondiale, l’union européenne, premier producteur, premier acheteur et vendeur du monde, qui ne doit pas un euros de dette, refuse de prêter à 1% pour un montant égal à 3% de son PIB comme ce fut le cas pour la Grèce. Tondre une telle bande de pleutres doit être un sujet de rigolade permanent chez les traders. Le paiement de la dette souveraine est juste un rapport de force. La mentalité de vieux rentier épuisé du style Trichet fait de l’Europe une proie sans défense. 

     Je boucle cette note en gardant sous le pied bien des choses. Mais l’heure qu’il est ne me permet plus de développer. Avant de finir, je veux revenir sur une lecture à propos de la Grèce. Je sais qu’elle ne lassera pas mes lecteurs tant ce que je veux montrer est saisissant. La Grèce ne découvre pas la situation de poignardée par des agences de notation qu’elle connait aujourd’hui. Non. J’ai lu sous la plume de  Jean-Marc Daniel, professeur à l'ESCP-Europe, le récit d’un moment particulièrement fascinant de l’histoire de ce pays. La copie de cet article du Monde du 5 avril traine sur mon bureau depuis des semaines et des semaines et j’en reporte sans arrêt le résumé qui me permettra de le garder vraiment en mémoire. Dans l'Europe des années 1930, la Grèce a déjà été la victime des agences de notation. Cela parait à peine croyable.  Voici le récit de Jean-Marc Daniel. On en est saisi d’effroi! Ainsi les grands de ce monde savent tous que toute cette manœuvre a déjà été utilisée une fois ! Et ils en connaissent les conséquences !

    « En 1930, en effet, le Trésor américain reproche à ces agences de n'avoir pas vu venir les faillites en chaîne des banques et la crise boursière de l'automne 1929. Celles-ci entreprennent de ce fait d'élargir leur champ d'action des entreprises aux Etats. Elles ont toutefois conscience que les dettes internes – celles exprimées dans la monnaie des Etats – ne doivent pas être notées, car les banques centrales, en tant que prêteurs en dernier ressort, sont là pour les monétiser et éviter la banqueroute. Elles notent donc les dettes en dollars et en livres sterling. Mais la chute des cours des matières premières provoque dans certains pays, notamment latino-américains, des déficits commerciaux qui assèchent leurs réserves en devises. Fin 1930, les agences baissent la note du Brésil et de la Bolivie et, en janvier 1931, la Bolivie fait défaut. Dans les couloirs des administrations de Washington, on reproche aux agences de se concentrer sur la zone américaine et d'ignorer l'Europe. Moody's réagit au quart de tour et repère l'homme malade de l'Europe : la Grèce. A Athènes, le premier ministre est Elefthérios Vénizélos, leader du centre gauche et héros national depuis qu'il a associé la Grèce à la victoire des Alliés dans la première guerre mondiale.

    Redevenu premier ministre en 1928 dans une Grèce républicaine depuis 1923, il mène une politique de réformes économiques fondée en particulier sur la réduction du nombre de fonctionnaires et l'augmentation des investissements publics. À l'opposition monarchiste qui l'accuse de ruiner l'État, il répond par la distinction entre la « bonne dette qui prépare l'avenir » et la mauvaise qui sert à payer des fonctionnaires, et qu'il a su écarter. Sauf que Moody's ne l'entend pas de cette oreille et dégrade la Grèce. Le résultat ne se fait pas attendre : les taux d'intérêt grimpent, les capitaux fuient, la Société des nations refuse son concours. Le 25 avril 1931, Vénizélos impose un strict contrôle des changes. Quelques bons esprits lui conseillent de dévaluer la drachme pour relancer la croissance, accroître les exportations et permettre à l'Etat grec de trouver les devises dont il a besoin pour honorer ses engagements extérieurs. Il s'y résout et laisse la drachme suivre à l'automne 1931 la livre sterling dans sa chute par rapport au dollar.
    Le 1er mars 1932, la Grèce, dont la dette en dollars a explosé du fait de la dévaluation, fait défaut. Les victimes de ce défaut sont d'abord les banques françaises et italiennes. Puis la population grecque : gangrenée par l'inflation due à la dévaluation, l'économie fragile du pays part à vau-l'eau, les émeutes se multiplient, et Vénizélos perd les élections fin 1932.

    La monarchie est restaurée en 1935 et, en 1936, le général Metaxas s'empare du pouvoir par un coup d'Etat débouchant sur une répression brutale des syndicats et de l'extrême gauche. En 1940, quand Mussolini lance ultimatum sur ultimatum à Athènes, il réclame entre autres le remboursement des sommes annulées, avant d'attaquer la Grèce le 28 octobre. Entre-temps, Moody's a été prise d'une sorte de vertige face au drame grec. En 1936, ses dirigeants expriment leur regret sur ce qui se passe et annoncent qu'ils arrêtent de noter les dettes publiques. Fitch suit en annonçant qu'elle cesse de noter… la dette allemande. » Et voici la conclusion de la main de l’auteur et non de la mienne : « Le temps passe. En 1975, les Etats se lancent dans une nouvelle vague d'endettement : les notations de leurs dettes reprennent, et la Grèce en fait les frais… »

    Nota : Si vous l’avez manqué, vous pourrez trouver l’entretien que j’ai eu avec Sylvia Zappi pour le journal « Le Monde » daté du 23 aout. Sous le titre « la dette est un prétexte » j’y développe quelques uns des arguments que vous avez pu lire ensuite dans ma note qui figure sous celle-ci.

    Extrait du blog de J-L Mélenchon


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