• Retraite à 60 ans : une mise en cause scandaleuse

    Presse

    Arnaud Parenty

    Ce post reprend un thème déjà évoqué récemment, car la rumeur autour de la retraite à 60 prend de l’ampleur et les médias n’ont pas l’air de savoir ce qu’il faut en penser. L’idée paraît de bon sens : les régimes de retraite sont en déficit et il faut travailler plus longtemps pour tenir compte de l’élévation de l’espérance de vie. L’augmentation de la durée d’assurance actée dans les réformes Balladur 1993 et Fillon 2003 n’ayant pas suffi, faire remonter l’âge minimum légal serait la seule solution.
    Le problème est que cet argument est très contestable et qu’une telle mesure serait une grande injustice sociale, puisqu’elle conduirait à faire financer le trou de l’assurance vieillesse par les salariés les moins qualifiés.

    La critique du raisonnement menant à la remise en cause de la retraite à 60 ans porte sur tous ses éléments.
    1) Le déficit des régimes de retraite, rappelons-le, est une surprise, puisque la loi Fillon prétendait sauver les retraites pour vingt ans au moins. Cette surprise est liée à la sous-estimation du nombre de personnes pouvant bénéficier du départ anticipé pour carrière longue arraché par la CFDT contre son soutien à la réforme. Il s’agit d’un phénomène provisoire, car le nombre de personnes susceptibles de bénéficier de cette mesure va diminuer avec l’arrivée en retraite de générations ayant commencé à travailler plus tard. Le déficit ne vient pas de la retraite à 60 ans, puisque la décote de 5% par annuité manquante est calculée justement pour que le coût d’un retraité soit le même quel que soit son âge de départ.
    2) Le relèvement de la durée d’assurance, passée de 37,5 ans (en 1993) à 41 ans (en 2012), a eu pour l’instant peu d’impact sur les âges de départ parce que les carrières sont encore longues : beaucoup d’actifs liquidant actuellement leur pension ont commencé à travailler à 17 ou 19 ans, ce qui leur permet d’avoir 41 annuités à 60 ans. Mais les générations suivantes auront des carrières plus courtes, car on commence aujourd’hui à travailler à 22 ans en moyenne, les premières années de carrière étant de plus souvent discontinues du fait de la précarité. Ces mesures vont donc faire sentir leur effet progressivement.
    En synthèse, la situation va donc s’améliorer naturellement au cours des années à venir, par épuisement du nombre des départs anticipés et par réduction de la durée des carrières.
    3) L’âge de départ est un chiffre purement théorique. Ce qui compte est de savoir jusqu’à quel âge les salariés restent en emploi. L’objectif des pouvoirs publics devrait être le relèvement du taux d’emploi entre 55 et 60 ans, qui est effectivement aujourd’hui nettement plus bas en France que dans les autres pays développés.
    Pour obtenir ce relèvement, le problème n’est évidemment pas la retraite à 60 ans. C’est le chômage de masse, les plans sociaux qui privilégient, pour des raisons parfaitement compréhensibles, le départ des salariés les plus âgés. C’est surtout les politiques de gestion des ressources humaines des employeurs, qui ne font rien pour favoriser l’efficacité et le maintien en emploi des plus âgés, sauf exception. Si le gouvernement et le patronat étaient honnêtes, ils règleraient ce problème avant de toucher à l’âge légal de départ. Le premier ministre le reconnaît d’ailleurs, déclarant que “Il n’y a pas d’autre solution pour sauver nos régimes de retraite que de travailler plus longtemps, alors même que la vie s’allonge. Si ça n’est pas le cas alors il faudra débattre ensemble de la question de l’âge légal de la retraite“. Si on lit attentivement cette phrase (et si les déclarations du premier ministre ont du poids), elle signifie qu’il faut lancer des mesures permettant de faire en sorte que les actifs travaillent plus longtemps. Et c’est seulement en cas d’échec de cette politique, en quelque sorte en désespoir de cause, que l’âge de départ légal serait reculé ; ce qui n’est pas très logique.


    4) Remettre en cause la possibilité de départ à 60 ans ne changera pas grand chose aux départs précoces. Il ne faut en effet pas confondre âge de cessation d’activité (actuellement de l’ordre de 58 ans) et âge de liquidation de la pension de retraite (qui se fait à plus de 60 ans en moyenne), puisque 60% des personnes qui partent en retraite ne sont plus en emploi au moment de leur départ. Souvent invoqué par les pouvoirs publics, l’exemple allemand illustre bien cet écart : l’âge de départ légal est passé à 67 ans, mais les deux tiers des 60-65 ans ne sont pas en emploi.
    En fait, repousser l’âge minimum légal va surtout allonger la période intermédiaire entre emploi et retraite (préretraite, chômage, longue maladie, inactivité) si rien n’est fait pour permettre effectivement aux salariés de continuer à travailler. À rebours du raisonnement du premier ministre, seule la réussite de la politique d’allongement de la durée d’activité donne un sens au recul de l’âge minimum.

    Enfin, il faut répéter la conséquence essentielle d’un recul autoritaire de l’âge minimum légal : puisque ce recul ne changera rien pour les cadres et les autres salariés qui ont eu la chance de faire des études longues, qui n’ont de toute façon pas assez d’annuités pour partir à 60 ans (sauf raisons impérieuses obligeant à sacrifier sa pension), seuls ceux qui sont entrés très jeunes dans la vie active, généralement des ouvriers ou des employés, seront touchés par ce recul. C’est donc en faisant travailler plus longtemps sans droits supplémentaires ces salariés modestes que le gouvernement compte régler les problèmes de financement des régimes.
    En effet, une fois qu’un salarié a une carrière complète, il cotise pour rien, sauf s’il va au-delà de l’âge minimum légal, auquel cas il a droit à une surcote. Repousser l’âge minimum légal au-delà de 60 ans priverait ces salariés de surcote.

    Si le gouvernement cherchait une façon relativement discrète mais très efficace d’accroître les inégalités, il a trouvé.

    article paru dans Alternatives économiques


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